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Blinking Lights (and other revelations)
11 juin 2015

Antoine de CAUNES - Dictionnaire Amoureux du Rock

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Dictionnaire Amoureux du Rock, le titre a de quoi effrayer, quand bien même l'auteur en est Antoine de Caunes, trublion assez irréprochable du PAF. Aussi convient il de préciser l'esprit de ce bouquin, et plus généralement de la collection dont il fait partie, au même titre par exemple que l'excellent Dictionnaire Amoureux du Vin signé Bernard Pivot.

Dictionnaire, d'abord, est le mot qui pourrait faire fuir l'éventuel lecteur. On baille à l'idée de se taper le Larousse (même petit) de Abaca à Zyzomys, et on n'est guère plus enthousiaste de s'envoyer une somme de descriptions, dates et faits d'armes de la liste exhaustive des groupes ayant sorti un Ep, depuis Aaron jusqu'à ZZ Top. Déjà faut il différentier Encyclopédie et Dictionnaire (ce que l'auteur rappelle à plusieurs reprises), et encore ce livre ne doit il son titre qu'au fait que les paragraphes soient classés par ordre alphabétique. Beaucoup d'entre nous ont sur leur blog un index avec une liste alphabétique de groupes renvoyant aux articles qu'on a pu écrire à leur sujet. C'est ainsi qu'il faut voir ce livre, comme l'impression d'un blog théorique où Antoine de Caunes aurait écrit à l'envie quelques lignes sur les artistes qui l'ont touché (ou pas), sur ses marottes et plus globalement sur des anecdotes personnelles en rapport avec la musique.

Car l'adjectif Amoureux est bien plus important que le mot Dictionnaire, on aurait même pu dire Passionné, avec tout ce que cela comporte d'excès, de subjectivité et de partialité. Ce livre se lit donc comme un blog, mais un blog de qualité supérieure, Antoine de Caunes ayant le bagout et le style qu'on lui connaît et ayant rencontré au cours de ses aventures télérocknrollesques énormément de monuments de la musique moderne. Pour finir sur le titre du livre, le mot Rock doit comme on l'a deviné se prendre dans son sens généraliste, car si la majorité des articles s'y réfèrent, l'auteur s'aventure régulièrement dans d'autres territoires musicaux, et consacre certains paragraphes à des écrivains ou des journalistes de sa connaissance ayant un rapport plus ou moins direct avec le Rock.

 

Si le lecteur n'apprendra finalement que peu de choses sur ses artistes favoris, Antoine de Caunes ayant évité avec soin (et fort intelligemment) le listing d'anecdotes archi rebattues sur la Sex Drug & Rock n Roll Life des Stars qu'il a croisé, il passera en revanche un très agréable moment à suivre les pérégrinations de celui qui s'est battu des années durant pour assurer sur les écrans français envahi de daubes Yéyé puis d'horreurs discoïdes le minimum vital de bonne musique, relégué depuis sur d'obscures chaines du câble en 3eme partie de soirée. De Caunes arrive à capter l'attention même au sujet d'artistes dont on n'a que faire, avec son style impertinent associant érudition, science de la métaphore hilarante, calembours foireux et traits d'esprits révélant une personne à la culture générale bien fournie. Evidemment comme dans tout blog, certains chapitres sont moins réussis que d'autres, mais globalement on prend autant de plaisir à lire le Dictionnaire Amoureux du Rock que l'auteur en a eu visiblement  à l'écrire. Nous le suivons donc dans diverses interview, dont il s'attarde la plupart du temps à décrire les préparatifs, l'environnement  et l'état d'esprit de l'inquisiteur comme du questionné plutôt que d'un contenu souvent de son propre aveux banal et convenu. Nous voici liquéfiés face à un Zim chez les Bataves indifférent, indifférents face à un David Bowie agréable, veinards face à un Lou Reed détendu et détendus (hé hé) en Jamaïque face à un Burning Spear heu, détendu lui aussi... Nous ne dévoileront pas les conditions pitoyables dans lesquels notre héro pourtant consciencieux assista à l'avant-première de the Wall, ni quelle homme politique essaya de se faire une crédibilité rebelle sur son dos lors d'une Visite Princière étonnante, mais enfin les aventures d'Antoine sur la planète Rock sont assez souvent croustillantes.  

 

Contournant la plupart des clichés du genre, Antoine de Caunes se plait à nous surprendre, notamment en abordant certains artistes par des biais étonnants, introduisant les Who avec la reprise de « My Generation » par les papis de la chorale d'Alfie Garetta, Alain Bashung par une rencontre (forcément) alcoolisée avec les Pogues ou ZZ Top par le biais d'un fan incongru, Lance Armstrong (de Caunes est aussi un amateur de cyclisme). Autre trouvaille, prendre à contre-pied les pronostics du lecteur en s'amusant avec les titres de chapitres. A chaque passionné de Rock son Dieu, et celui d'Antoine de Caunes est Bruce (qui apparaît en filigrane tout au long du bouquin, seul à être cité de son unique prénom pour mieux indiquer la dévotion dont il fait l'objet), mais on ne trouvera rien à son sujet aux lettre B ou S. C'est à la lettre M, comme Madison pour le Boss ou R comme Re-born (to run), que l'auteur étale toute son admiration pour Springsteen et décrit une rencontre privilégiée avec lui après un concert d'anthologie de 3 heures malgré une entorse à la cheville. De même, Antoine de Caunes eu la révélation à l'âge de 10 ans lors d'un concert des Beatles à l'Olympia (avec Sheila et Trini Lopez en première partie) et garde évidemment une admiration sans bornes pour le légendaire groupe anglais. Mais rien à B, F ou Q (comme Quatre garçons dans le vent). Il nous emmène plutôt en ballade à Abbey Road 2006 où rodent les fantômes des Fab Four, nous offre une Conversation avec Sir Macca très savoureuse, ou nous raconte un été d'enfance dans la Vienne passé à décortiquer le Sergent Pepper pour tuer le temps.

Là se trouvent finalement les passages les plus intéressants de l'ouvrage, lorsque de Caunes se livre et cherche dans ses souvenirs lointains les moments stratégiques de son attachement viscéral à la musique, nous renvoyant avec bonheur à nos propres moments clés, parfois similaires aux siens. Outre des instants précis de son passé indissociables de certains albums, on découvre dans Rock'n Vol que les fondus de musique désargentés n'ont pas attendu le téléchargement pour spolier les maisons de disque, et quel chanteur vint taper le bœuf  (avant de devenir célèbre) avec Whoa Babe !, groupe certainement meilleur que ce que nous laisse entendre son batteur reconverti en journaliste.

 

L'originalité du livre tient donc, comme je l'expliquais en introduction, à ce qu'il ne se pose pas en énième Bible du rock jalonnée de tout ce que l'intelligentsia du milieu a pu ériger en incontournables, mais bien en vision propre à un auteur attachant et maitrisant son sujet sur le bout des doigts. A certains poids lourds du Rock qui ne le touchent pas, de Caunes préfère des disques mineurs qui ont compté pour lui, comme Lost in Austin de l'inconnu Marc Benno. Au fil des pages, se dessine donc le profil musical de l'auteur, avec ses qualités et ses défauts. Car là se cachent les quelques points négatifs du Dictionnaire Amoureux du Rock. Antoine de Caunes se révèle en effet assez fidèle à ce qu'on peu attendre d'un individu irréprochable de la blogosphère. Il aime les figures rebelles, critique les démonstrations techniques tout en dressant des lauriers  à quelques Guitar Heros, daube sur le rock progressif, et prend soin d'ajouter le mot « période » à ses entrées les moins reluisantes (Dire Straits « période premier album », Genesis « période Foxtrot », groupes qu'il ne présente d'ailleurs qu'à travers ses leaders Mark Knopfler et Peter Gabriel). Il cherche même à s'excuser d'avoir écouté Pink Floyd, étant coincé à l'époque d'Atom Heart Mother dans un pensionnat religieux dont les surveillants toléraient les pochettes innocentes de la bande à Waters plus que celles des punks.

Pour finir, à part quelques piques surprises (Creedence Clearwater Revival en concert le plus chiant du monde), les seuls qui s'en prendront plein la gueule sont Ron Wood (à longueur de livre) et U2, unique chapitre entièrement négatif du Dictionnaire, ce qui est quand même assez consensuel. Antoine de Caunes semble en être resté à l'époque où la bande à Bono régnait sans partage ni critiques sur les charts mondiaux. Voilà selon moi le principal défaut du livre : pour les gens de ma génération, il reste l'éternel clown de Nulle Part Ailleurs, un déconneur de première qui ne peut être qu'associé à l'idée de jeunesse, mais vérifiez sur Wikipedia et vous serez surpris de constater qu'Antoine de Caunes est un vioque. S'agissant d'un dictionnaire Amoureux, il s'est attaché à décrire la période musicale qui a compté pour lui, soit globalement entre la fin des 60's et le milieu des 80's. Si l'on devine qu'il continue à garder les oreilles grandes ouvertes, de Caunes s'est abstenu d'évoquer les Pixies, Nirvana, Radiohead ou Arcade Fire. C'est à la fois dommage et heureux, tant les rares entrées consacrées à des artistes « récents » sont assez ratées, comme celle où il parle d'Archive en citant principalement leur Unplugged, alors même que le concept de ce disque est déjà idiot (sans parler du résultat).

 L'ancrage du livre dans le passé, s'il a l'inconvénient de ne citer quasiment que des artistes qui ont aujourd'hui plus de 60 ans, permet de se replonger dans une époque où le rock avait encore une certaine importance, où les bastons n'étaient pas virtuelles (incroyable scène avec Nina Hagen), le Look était un véritable uniforme et la quête d'un vinyle pouvait durer des années. Façonné par cette époque bénie, Antoine de Caunes, en amoureux transis, réussi à dépasser le conflit des générations (dont il s'amuse avec lucidité) et m'a donné envie de découvrir quelques pionniers du Rock que j'avais trop vite remisé au placard de la ringardise. Ce n'est pas la moindre des réussites de ce Dictionnaire. 

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