Septembre 1999, j’achète les Inrockuptibles pour un voyage en train, attiré par un CD bonus citant Iggy Pop, David Bowie et surtout Ben Harper. Mais ma chanson favorite de ce disque se révèle être « Coccinelle », d’un groupe dont je ne connais alors rien et qui est encore relativement confidentiel. Le hasard veut que Dionysos soit programmé le 11 décembre au Brise-Glace à Annecy, ville où j’habite à l’époque pour un stage d’études de 6 mois. Sur la seule foi de ce single détonnant, je me rends à la petite boutique où ils sont en dédicace, achète l’album Haiku et, ce dernier signé en poche, je vais directement à la salle de concert. C’est donc sur scène que je vais découvrir véritablement Dionysos, et inutile de dire que le choc sera violent. Toutes les qualités scéniques d’un des meilleurs groupes live du monde sont déjà là, et je reverrai 7 fois Dionysos par la suite les dix années suivantes (un record, de loin). Il me paraissait donc impensable de ne pas citer les Valentinois dans les Loved Lives, et en même temps je considère qu’ils n’ont pas sorti d’album Live parfait, ou du moins aussi marquants que la plupart que j’ai pu évoquer dans cette rubrique. Les deux Wathever the Weather s’en approchent fortement, mais ils ont un défaut principal à mes yeux : oublier largement dans leurs setlists l’album Haiku, qui restera mon favori et dont les titres explosés à Annecy m’auront marqué à jamais. Et puis, s’il est indéniable que les versions live de Dionysos sont autrement plus enthousiasmantes que leurs pendants studio (une tendance qui va s’accentuer au fil des années), aucun enregistrement ne peut vraiment retranscrire la folie furieuse du groupe sur scène. Mais n’allons pas trop vite, et revenons aux débuts de ce qui était alors un quatuor chevelu.
Commencée en 1996 avec Happening Songs, un disque énergique et bordélique, marqué par le grunge et le bricolage façon Beck, l’aventure de Dionysos se poursuit avec divers enregistrements regroupés notamment sur l’EP The Sun Is Blue Like The Eggs In Winter qui ajoute une touche de rock indé à la Pavement et un peu plus de sensibilité (sur des morceaux comme « Ciel en Sauce » ou « Arthur »). Je n’ai pas de traces de concerts de cette période, mais nombre de ces premiers titres feront des réapparitions récurrentes sur les tournées suivantes du groupe. On notera déjà la facilité avec laquelle Dionysos retravaille ses morceaux - notamment le coté électrique versus acoustique, comme sur les différentes interprétations de leur premier tube « Wet » ou la version ralentie et méconnaissable de « No Sense Word Harmony » - ce qui sera l’un des fondamentaux de leur côté fascinant sur scène.
Devenu quintet avec l’arrivée de Babeth la violoniste, Dionysos semble alors suffisamment aguerri et reconnu pour être adoubé par un label et aller enregistrer leur premier disque vraiment professionnel aux Etats Unis. Haiku voit l’apparition d’arrangements très soignés (notamment sur les cordes) et d’un piano qui fera mon bonheur. Gardant leur côté foutraque sur certains titres (« Mandarine », « Built for Myself ») et très rocks sur d’autres (« Nicholsong », « La petite Princesse aux seins écrasés »), Dionysos accentue son côté mélancolique et insiste sur les poèmes naïfs en Français qui deviendrons une de leur marque de fabrique (« Poissons = Stickers », « Pyjama »). Porté par le tube « Coccinelle » et son refrain irrésistible, très varié et quasiment sans déchets, Haïku reste un album à part dans la discographie de Dionysos, qui le reniera plus ou moins à cause d’une production jugée trop lisse. S’en suivra pas mal de presse et une grande tournée où je croiserai donc leur chemin.
Je possède un enregistrement de cette période (à la Braderie de Lille en 2000) qui, bien qu’un peu court (l’album était interprété quasiment dans son intégralité à l’époque, je n’en dispose que d’une moitié), est bien représentatif du souvenir de cette soirée surchauffée au Brise-Glace où j’avais observé, les yeux écarquillés et le sourire aux lèvres, le lutin bondissant Mathias grimper aux rideaux de la salle et faire des plongeons du haut des enceintes tout en gueulant des textes sans queue ni tête au son puissant de ses remuants acolytes. Ce qui frappe sur ce live, c’est la puissance de la paire rythmique, en particulier le jeu fantastique du bassiste Guillaume Garidel, malheureusement progressivement sous employé au fil des années (1). Les tempos sont accélérés et le groupe commence à expérimenter ce qui deviendra une de leur spécialité, ménager des pauses dans les morceaux qui sont autant de prétextes à des redémarrages explosifs. Avec cette formule, même un titre comme « Pyjama » devient rock, qualificatif qui sied à l’ensemble du concert, à quelques jolies exceptions près (la version acoustique épurée de « 45 Tours »). Les multiples trouvailles pour adapter les chansons à la scène restent mesurées, ce qui permet de surprendre les spectateurs en évitant les excès (on en reparlera pour les tournées les plus récentes). Le groupe est à l’aise et semble s’éclater, Mathias Malzieu rodant son jeu de scène et laissant une bonne place au public.
Le bouche à oreille fonctionne bien, et Dionysos enchaine l’année suivante avec une nouvelle série de concerts dans une configuration plus acoustique, profitant de l’occasion pour remettre à l’honneur de vieux morceaux devant un plus large public. J’habitais alors Metz, et j’eu la chance de pouvoir me déplacer jusqu’à Nancy pour les retrouver dans une petite salle blindée pour un concert génial où public et groupe furent dans une rare osmose, Malzieu en faisant des tonnes dans la performance sportive et cascadeuse (je me demande si ce n’est pas à cette époque que, s’étant pété une cheville lors d’un saut, il finira le reste de la tournée juché sur une chaise d’arbitre de tennis). Un bon témoignage de ces concerts se trouve sur la compilation Old School Recording, notamment « Here Comes the Sun », vieux titre anecdotique où le rouquin chanteur se fend d’une impro déjantée finissant par une harangue à la foule lors de la présentation des membres du groupe. On y trouve aussi une version trip hop de « Wet » avec de la contrebasse, un jeu avec le public sur « I’ll Shoot my Bed » aux redémarrages aléatoires, et même une improvisation complète d’un sketch et d’une chanson à partir d’un simple cri du cœur d’un spectateur (« Everybody Loves Babeth »). En clair, Dionysos est déjà un immense groupe de scène, et je pense que la plupart des personnes les ayant vu à l’époque sont repartis enthousiasmés et certains de les voir accéder prochainement à plus de notoriété. Personne n’aurait cependant pu prévoir que le nouveau tube de Dionysos les propulserait parmi les groupes les plus connus en France.
Désormais bien établis dans le paysage rock Français, Dionysos accroche rien moins que Steve Albini pour produire leur disque suivant, célèbre pour le côté radical de son travail, soit le contrepied de ce que le groupe reprochait au son de Haïku. En grand professionnel, l’américain imprime sa touche à Western sous la Neige (guitare électrique abrasive, batterie sèche et bien présente, d’autant qu’Eric Serra-Tosio y est flamboyant) mais laisse le groupe exprimer son univers. De cette collaboration, où l’inspiration de Mathias Malzieu est encore sous contrôle, nait un grand album maitrisé du début à la fin. Pétris de guitare folk, sur laquelle viennent s’épanouir guitare slidé ou banjo et un violon tout en tension, la plupart des morceaux de Western sous la Neige font honneur au titre de l’album et évoquent le genre cinématographique dont Malzieu est féru. Alternant les moments calmes (l’album contient les plus belles balades du groupe, telles « Coffin Song » ou « Déguisé en pas moi ») et les titres indés Pixiesien (« Longboard Blues », « She is the Liquid Princess »), Western sous la Neige regorge aussi de tubes pop rock fédérateurs (« Coiffeur d’Oiseaux », « Don Diego 2000 », « Anorak ») dont celui qui les rendra célèbre, le joyeux « Song for Jedi », est un bon condensé de l’ensemble. Un disque taillé pour le succès, d’autant que les membres du groupe ont fait de gros progrès en chant (même si la voix de Babeth est toujours insupportable), et une véritable mine d’or pour ces champions de la scène, qui ne se priveront pas d’entamer une nouvelle méga tournée dans des salles cette fois bien plus importantes et dans un nombre incalculable de festivals.
Je les avais vus pour ma part au Printemps de Bourges (une date dont je ne me souviens plus très bien) et aux Eurockéennes où j’avais pu constater l’ampleur du phénomène et la maitrise du surf sur foule de Mathias, pas effrayé à l’idée d’un slam de 20 mn après de multiples sauts dans la fosse. En témoignage de ce qui reste l’âge d’or du groupe, Dionysos sort en 2003 les deux Whatever the Weather, une vision électrique et l’autre acoustique de leur carrière, même si évidemment les choses ne sont pas si tranchées : Dionysos réserve quelques titres minimaliste au sein du déluge électrique (« Ciel en Sauce », ou une curieuse version ralentie de « Coiffeur d’Oiseaux ») et n’hésite évidemment pas à saturer quelques passages de sa prestation acoustique. En fait, dans ce double jeu permanent qu’ils expérimentent depuis leurs débuts, ce n’est pas tant l’énergie ou les arrangements qui différentient les versions, mais plutôt l’intention. Les concerts acoustiques sont comme un complément récréatif à la tournée classique. C’est dans ces moments que Mathias Malzieu cabotine le plus (la version piano bar de « Ladybird »), amuse le public (« Surfin’ Frog »), où chacun se fait plaisir avec des instruments incongrus. Le concert électrique, même si l’humour y est évidemment présent, est beaucoup plus tendu, en particulier le violon (« Mc Enroe’s Poetry ») et le chant hurlé dans l’un des micros spécialement saturé. On y trouve d’ailleurs une reprise cabaret à moitié lugubre de « I put a Spell on You » et surtout le bel hommage à Leo Ferré, un « Thank you Satan » très travaillé et sérieux, là où le concert acoustique présente le rigolo « Spiderman » et un joli folk scolaire (« My Rifle, my pony and me »). Pour cette raison, on conseillera en priorité le Whatever the Weather électrique et ses nombreux passages intenses, au rang desquels l’épileptique « Tokyo Montana » à l’exceptionnelle batterie. Les fans pourront eux savourer la transformation radicale de certains extraits du concert acoustique, comme l’un des titres les plus rock de Western sous la Neige, « She is the Liquid Princess », dont le périlleux ralentissement et dépouillement est une vraie réussite. Voire comparer les savoureuses différences entre les tubes présents sur les deux disques, « Coccinelle », « Don Diego 2000 » ou « Song for Jedi », qu’on peine à départager (2).
Reste que quel que soit le Whatever the Weather choisi, on y trouvera l’inventivité et la pêche du groupe, Blues, Trip Hop, Flamenco, Tango, Country, ambiance western ou chœurs Tim Burton, a capella, noise, festival d’instruments (contrebasse, xylophone, mélodica, banjo, thérémine, cloches, castagnettes, samples, …), feu d’artifice de nouvelles mélodies explosant aux oreilles des habitués qui n’en perdront pas une miette, pauses impromptues dans les titres pour glisser du scratche au milieu d’un rock ou une batterie solo au sein d’une ballade folk, bombes sonores pulvérisant en fragments des chansons prétendument naïves, accélération, pauses, accélération, sprint finaux, respirations, blagues, cris, sauts, sueurs, larmes, rires…. Et surtout, plaisir, du groupe, du public, et de l’auditeur…
Suite au succès énorme de Western sous la Neige, Mathias Malzieu peut maintenant laisser libre court à son imagination débordante, ce qui va peu à peu plomber les disques de Dionysos en ôtant spontanéité, fraicheur et efficacité à leurs titres. Les intervenants et les instruments se multiplient (maudite découverte du ukulele), Mathias s’obstine à vouloir raconter ses bouquins dans les paroles de chansons aux formats ne s’y prêtant pas, le vieux fan a de plus en plus de mal à se faire à l’univers du groupe au fur et à mesure que l’ombre du rock indé américain s’y estompe. Malgré tout, il reste suffisamment de bons morceaux pour qu’on continue à les suivre, d’autant que la sophistication n’a pas que des défauts : les musiciens sont devenus des techniciens hors pairs, et les arrangements travaillés font qu’il y a toujours une accroche sur le plus banal ou ridicule des morceaux. Et surtout, il reste les concerts. Sur scène, le coté illustration sonore d’une histoire devient un atout, avec ses décors, ses personnages, ses dialogues entre Mathias et Babeth ou avec le public. Et puis Dionysos est maitre dans l’art de transformer, selon son habitude, son répertoire : on retrouve les classiques explosions, contre pieds, réinterprétations, changements de styles, prolongations et autres pulvérisations dont nous sommes coutumiers et qui, en les montrant sous un autre jour, nous attache à la plupart des chansons de Monster in Love ou la Mécanique du Cœur, même celles qu’on avait dédaigné sur disque.
Il existe deux enregistrements officiels de la tournée Monster in Love, sur lesquels on peut juger de la pertinence des réinterprétations de Dionysos (à quelques exceptions près, comme le génial « Old Child » qui souffre d’un rallongement minorant son efficacité de tube rock, ou « Neige » qui, un peu grandiloquent, n’est plus si émouvant). Il y a d’abord Monster in Live, enregistré au Zénith avec un orchestre symphonique. On aurait espéré, comme la belle pochette le suggère, que l’apport de l’orchestre accentue le côté cinématographique des compos de Dionysos, et l’intro, un « Giant Jack’s Theme » tout en cuivres, cordes et timbales puissantes, semble d’ailleurs orienter le set dans ce sens. Par la suite, le résultat sera cependant beaucoup plus mitigé, mis à part le chœur assez présent et les très beaux arrangements sur « Miss Accacia » (on dirait du Sufjan Stevens) ou sur une « Lips Story in a Chocolate River » exceptionnelle. On a le sentiment que Dionysos est coincé entre la mise en place précise avec l’orchestre et l’énergie rock qu’il déploie sans contrôle habituellement sur scène. On préfèrera donc le concert de la même tournée enregistré à l’Olympia et fourni en bonus dans l’édition limitée de Monster in Love, sur lequel on retrouve nos amis déchainés comme jamais. En fait le groupe n’a aucun besoin d’un orchestre pour proposer des arrangements audacieux (mention spéciale à la guitare électrique de l’irréprochable Mickael Ponton, par exemple sur « tes Lacets sont des Fées »), qu’il alterne avec des passages d’une rare violence, à l’image d’un final destiné à permettre à Mathias de surfer un long moment sur le public.
De la tournée de la Mécanique du Cœur, on pourrait dire peu ou prou la même chose. Dionysos transforme un album assez décevant en bête de scène, à la différence près que si quasiment tous les titres de Monster in Love étaient joués live, il y a cette fois une bonne sélection manquant non de saveur, mais presque un peu d’audace (en gros, seuls les titres les plus efficaces ont été retenus). Et si les trouvailles du groupe foisonnent toujours, l’effet de surprise n’y est plus à chaque fois. Il en reste quand même assez, comme on peut l’entendre sur les 4 extraits du Zénith 2008 présents sur la compilation Dionysos Eats Music !!! (3). Dionysos s’était renforcé d’une petite section cuivre qui s’intégrait parfaitement à leurs compos, et osait des medleys incroyables, comme cette touche de Doors au milieu de « l’homme sans trucage ». Le concert à Grenoble, dernière fois à ce jour que j’ai vu le groupe, reste un très bon souvenir.
Après une longue interruption, Dionysos revient en 2012 avec Bird N’ Roll, que j’ai cette fois détesté dans son intégralité. Ne conservant de ses prédécesseurs que les défauts énervants, et sans aucun morceau porteur, l’album s’appuyait en plus sur un livre particulièrement mauvais. Il est d’ailleurs à noter que plus Dionysos a tenté un concept album, moins celui-ci a été homogène. Bird n’ roll lui, est complètement éparpillé, ne sachant plus à quel style se vouer, et pêchant énormément dans son écriture. J’aurais pu céder à la tentation de voir comment le groupe allait s’en sortir sur scène (et je leur faisais assez confiance, vu mes expériences longuement décrites ici), mais j’eu vent du délirant projet de Malzieu : chorégraphies calquées sur les danses nuptiales des oiseaux, danseuses à plumes rouges, et pourquoi pas chants de canaris. Trop c’est trop, je n’eus aucune envie d’assister à ce théâtre grand guignol, et ne saurais donc pas si le ridicule attendu fut au rendez-vous, d’autant qu’il n’y a pas de captation officielle de cette tournée. On aurait pu croire que ce disque catastrophique signait le glas de ma belle relation avec Dionysos, mais c’était sans compter sur une donnée nouvelle dans ma vie : mes enfants. En particulier Malo, qui s’attacha progressivement au groupe, me replongeant dans sa carrière jusqu’à me faire voir d’une autre oreille ce Bird N’Roll et son successeur, un Vampire en Pyjama guère plus accrocheur sur le papier. Mais nous aurons l’occasion d’en reparler, en chronique et… en live, évidemment !
(1) C’est d’ailleurs le premier membre originel à quitter le groupe, il y a quelques mois (je pensais qu’il craquerait avant…)
(2) Petite préférence pour l’ambiance sombre du « Don Diego 2000 » électrique et le superbe « Song for Jedi » acoustique, qui se paie le luxe de ne pas utiliser le riff principal de guitare.
(3) Plutôt qu’un banal best of, Dionysos propose là un véritable objet pour fans, bourré de demos, live, inédits, remixes ou versions différentes ainsi que des photos courant sur toute la carrière du groupe. On pouvait même envoyer une photo de soi avec un instrument, chose que je fis malheureusement quelques jours trop tard pour figurer sur le poster accompagnant le disque. Une compilation à l’image de Dionysos, généreuse, comme en cadeau à son public. Respect…
Pour ma part, j'ai découvert Dionysos avec Western Sous La Neige, j'ai découvert en rembobinant Haiku, et j'ai bien aimé Monsters In Love aussi. Par contre, j'ai décroché après, n'y trouvant plus mon compte.
Western Sus La Neige reste un putain de disque (avec des sommets comme Coiffeur d'Oiseau, Song For Jedi et surtout Don Diego 2000).
Côté scène, je ne les ai vus qu'une fois, à la Route du Rock, je crois que c'était en 2004 (ma première RdR, j'avais même pas 16 ans), un soir d'apocalypse (ils avaient dû interrompre la prestation de Blonde Redhead qui jouait avant), et Mathias avait envoyé du petit bois, à la fois sur le plan musical mais aussi dans ses gesticulations, grimpant sur des micros complètement trempés, je ne sais pas comment il a fait pour ne pas se casser la gueule ce jour-là.