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Blinking Lights (and other revelations)
5 février 2022

Hors Série #09 - Hommage à Jean

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Il y a très longtemps, j’ai chroniqué en épisode #037 la BO du film Gadjo Dilo, en expliquant l’origine de cet enregistrement : les convois humanitaires en Roumanie auxquels j’ai participé adolescent. En nota, je signalais que je perdais régulièrement de vue mes compagnons de convoi, mais qu’on saisissait toujours l’occasion de retrouvailles quand elle survenait. L’occasion ce fut cette fois, comme cela arrive de temps en temps, un enterrement. Vendredi dernier je me suis rendu à Francheville pour un dernier hommage au Père Jean Magnan, personne qui a compté dans ma construction et dans celle de tant d’autres.

 

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Quand j’ai rencontré Jean, il avait 60 ans et une vie déjà bien remplie derrière lui. Formé Jésuite à Marseille, habitué des aumôneries en collège et Lycées, il avait tout quitté pour faire prêtre travailleur dans le Chili de Pinochet pendant quelques années, avant son expulsion du pays. Comme le rappela le célébrant à la messe d’enterrement, la vie de Jean fut partagée entre son désir profond d’aider les autres en totale liberté et le devoir d’obéissance dû à ses supérieurs depuis le jour de son ordination, et son parcours fut jalonné de claquages de portes et de retours au bercail. Dans mon collège privé jésuite, j’étais un fidèle de l’aumônerie, plutôt par obligation morale que par gout, mais cela changea à mon entrée en 3eme, par ailleurs l’une des pires années de ma vie. Jamais je n’avais rencontré de curé tel que Jean, débraillé, des cernes immenses sous les yeux, parlant fort, riant encore plus, blaguant de tout et surtout de la religion, mais aussi la foi et la prière chevillé au corps, et le gout inépuisable pour la discussion et le débat. Avec ce charisme et ce bagout inimitable, il avait lancé une myriade d’initiatives auxquelles il conviait les collégiens et lycéens, soupe populaire, retraites dans le diois, opérations supermarché, aide à Lourdes, soutien aux Handicapés, séjours à Taizé (où je rencontrerais, bien des années après, ma future épouse) etc… et je participais à certaines d’entre elles (notamment pour accompagner des non voyant en randonnée autour de Marseille (1)). Mais c’est bien sûr les convois en Roumanie qu’il initia qui illuminèrent le plus ma morne adolescence et changèrent la vie d’un nombre incalculable de personnes. Le premier convoi eut lieu en 1990 juste après la chute de Ceausescu, dans le but d’amener des vivres et des médicaments aux enfants des orphelinats Roumains. J’intégrais le groupe deux ans après, pour Noroc VI (les convois étaient baptisés Noroc, chance ou tchin en Roumain, le groupe devenant naturellement les Noroquiens). Pour le gamin naïf que j’étais, se retrouver en plein hiver dans un orphelinat Roumain pour fêter Noel avec les enfants démunis fut une expérience plus que marquante, et j’en gardais un indéfectible attachement au pays et à mes copains de route. Romain, l’un des plus actifs et des plus anciens, avec qui j’ai toujours gardé contact (qu’on ne me parle pas de la soit disant amitié éphémère des Marseillais), était là avec moi à l’enterrement. Il rejoignait le lendemain la cérémonie organisée à Marseille, église pleine à craquer et retrouvailles chaleureuses avec les plus fidèles Noroquiens, que je vécu et vis toujours à distance grâce à un groupe Whatsapp qui ne cesse depuis lors de s’enflammer en messages souvenirs, en poèmes, en chansons et en rigolades, comme au bon vieux temps. De quoi me donner envie de réécouter cette curieuse cassette noire sans aucune autre indication que son mystérieux intitulé, Cassette de Roumanie Originelle.

 

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Pour moi il s’agissait soit de dance ou techno 90’s que nous passions à la discoteca, soirées dansantes que nous organisions à l’orphelinat pour le plus grand bonheur des petits et grands, avec des tubes que nous entendrions quelques mois après dans les boites Françaises, soit des grands classiques que nous chantions  pendant nos aventures, avec des paroles réécrites pour l’occasion - notre favorite étant « Sympathy for the Gabian », animal totem Marseillais dont nous imitions le cris en lieu et place des chœurs Stoniens (2). En réalité, il s’agit d’un reportage quotidien enregistré sur magnétophone par le Noroquien Gauthier (alias le bouseux) lors d’un convoi, probablement Noroc XIV, un convoi d’été. Il y avait deux convois par an, un à Noel et un en Aout et, après ma première expérience, j’étais parti exclusivement en été, tout d’abord parce que les convois duraient plus longtemps mais aussi parce que les conditions étaient moins dures. Tous les soirs,  au moment du relâchement dans les chambres que nous occupions à l’orphelinat de Pomi après une journée bien chargée à occuper les enfants, il interviewait les Noroquiens sur la journée passée, ce qui se terminait immanquablement en délires et ricanements caractéristiques de notre fine équipe, fous rires de plus en plus marqués au fil de la cassette et donc de la fatigue accumulée. Dès le début, notre équipe s’était scindée en deux, avec une partie (dont j’étais) qui avait pris les ados pour un camp façon scouts dans la montagne Roumaine proche, et une autre qui était resté s’occuper des plus jeunes. C’est donc essentiellement celle-ci, composé outre Gauthier d’un trio féminin (Béa, Béné, Maudey) qu’on entend beaucoup et Pascal (ami à roulettes qu’on entend peu car il dormait souvent apparemment) et Justina notre traductrice (qu’on entend peu parce qu’elle était timide). Ça parle beaucoup bouffe, sans doute parce qu’on mangeait moins que d’habitude pendant les convois, et que la nourriture servie dans les grands réfectoires graisseux était particulière (il y a un gros délire sur une soupe aux pieds de porc). Radio potin fonctionne, y a des massages et des reportages dans les douches (froides évidemment) avec force hurlements, des ricanements et des délires qu’on peut avoir quand on se sent libres et heureux ensemble. Une séquence sur le retour des troupes du camp (autre reportage dans les douches, la première depuis une semaine), un peu de Julien à la guitare qui gratouille « Caribou », « Knockin’ on Heaven’s Door »  ou « Ville de Lumière ». Pour finir la cassette, j’avais enregistré les versions originales des Pixies et des Guns N’Roses, ainsi qu’un long medley de la Compagnie Créole, tubes qu’on passait pendant ce convoi dans les autoradios des combis Volswagen utilisés pour notre périple depuis la France. D’un côté cette cassette me replonge immédiatement dans l’ambiance géniale et survoltée de ces moments inoubliables, de l’autre je ne peux m’empêcher de noter que les Roumains, et nos chers orphelins, y sont totalement absents. Rien n’est évoqué des journées passés à fabriquer ensemble des déguisements, à monter des pièces de théâtre ou des concerts en playback, des joies ou des peines partagées avec les chouchous que nous avions tous. Les convois improvisés et hasardeux des débuts avaient laissé place à une organisation plus rodée, on commençait à avoir, un peu, nos habitudes. A l’élan du cœur de mon premier convoi s’était greffée l’inévitable question, « viens-tu pour eux ou pour toi ? ». Certes nous illuminions quelques jours de leur existence, mais pour mieux les laisser ensuite dans leur quotidien difficile tout le reste de l’année. Je m’étais rêvé sauveur de la veuve et de l’orphelin, n’étais je qu’un simple pique assiette ? Presque 10 ans après la mort de Ceausescu, les Roumains avaient- ils vraiment besoin de nous ? Compliqué de discerner, quoi qu’il en soit Noroc XIV fut mon 4eme et dernier convoi.

 

Jean Magnan s’était évidemment posé ces questions depuis longtemps, et y avait répondu à sa manière. Luttant contre sa hiérarchie, il finit par être libéré de l’Aumônerie de l’Ecole d’Ingé où il tournait comme un lion en cage et obtint (ou prit) l’autorisation de s’installer en Roumanie en 1992 dans la ville de Satu Mare, autour de laquelle se situaient les orphelinats que nous aidions. Son objectif, aidé notamment par notre association FRERES (3) active à Marseille puis dans la France entière, était d’aider à l’insertion professionnelle des orphelins qui, foutus à la porte à leurs 18 ans, finissaient le plus souvent à la rue et dans la misère. Depuis la maison Sainte Anne où il accueillait tout le monde (4), il se démena pour acheter des terres à cultiver, des habitations, soutenir des jeunes couples, trouver des financements, s’investir à fond pour les plus pauvres comme il l’avait toujours fait. Cela alla avec son lot de trahisons, d’échecs et de peines, mais si je n’ai pas suivi de près la suite des aventures, je crois qu’aujourd’hui l’entreprise est une réussite (l’Association a été maintenant intégrée à Emmaüs). Il y a quelques années, Jean est tombé malade et a fini par se résoudre à laisser la main en Roumanie et à s’installer dans une Ehpad à Francheville. C’est tout près de chez moi mais, avec la lâcheté qui me caractérise, je n’ai jamais osé lui rendre visite. Il y est décédé à 90 ans, 15 ans tout pile après l’Abbé Pierre, comme l’ont souligné plusieurs intervenants lors de témoignages émouvants partagés à la messe d’enterrement. En ultime cadeau, il nous aura donné cette flamme Noroquienne ravivée, et facilitée par les réseaux sociaux. A nous d’en faire bon usage. A Dieu Jean, si l’Eglise est mal barrée en ce moment je n’oublie pas qu’elle accueille en son sein des gens comme toi, et en ton souvenir j’aurais toujours à cœur de la défendre. 

 

(1)    C’est indirectement à cette occasion que je devins fan des Smashing Pumpkins, comme je l’ai raconté dans mon Top 5 aux SP. 

(2)    Amusant que l’hymne de notre troupe menée par un prêtre marchant pour le Christ fut « Sympathy for the Devil »… 

(3)    France Roumanie En Recherche d’Espérance 

(4)    Même le groupe Un Air Deux Familles, j’en parle en Hors Série #06

 

Je l'ai déjà raconté: j'eus mon épiphanie musicale avec le Use Your Illusion II des Guns N'Roses au cours de mon deuxième convoi, Noroc IX.

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