« A Day in the Life », dernier titre du St Pepper, et dernière collaboration entre John Lennon et Paul Mc Cartney? Certes il s’agit d’un collage artificiel (et superbe) entre deux chansons écrites séparément par les deux leaders des Beatles, mais la cohésion est là. Elle n’existe plus sur le disque suivant, sans titre, communément appelé White Album ou Double Blanc. A quelques chansons près, les Beatles ne sont plus un groupe mais quatre individus prompts à agir dans le dos du copain pour ramener la couverture à eux - enfin, plus exactement 3 individus et un Ringo Starr si perdu qu’il quittera le studio un moment pour prendre des vacances. Seule la moitié des chansons est interprétée par le groupe au complet, Paul Mc Cartney semblant le plus impliqué (ou le plus autoritaire ?) puisque sur les 30 titres que compte le disque il en interprète 27, là ou ses trois camarades se contentent de 20. De nombreuses hypothèses, comme la mort de leur manager historique Brian Epstein ou l’arrivée de Yoko Ono, très envahissante nouvelle compagne de John, peuvent expliquer le début de l’explosion du groupe. J’en retiendrai une en particulier : la décision que le groupe a prise après l’album Revolver de ne plus faire de concert. Comme les Beatles composent séparément (la signature Lennon/Mc Cartney étant virtuelle depuis belle lurette), il n’y a dès lors plus d’objectif commun pour lier le groupe. La joie d’avoir du temps et la frénésie d’expérimentation qui s’ensuivit a gardé le groupe soudé le temps du légendaire Sgt Pepper, mais la création d’un tel disque a laissé des traces, les Beatles sont fatigués et souhaitent se ressourcer, personnellement et musicalement. Pour le coté personnel, ce sera un séjour de méditation en Inde auprès du Maharishi Mahesh Yogi qui sera extrêmement prolifique au niveau de la composition. Les Fab Four n’ayant droit qu’à des guitares acoustiques, cela favorisera aussi leur ressourcement musical, à savoir un retour à du rock ou folk plus brut, sans les arrangements luxuriants du Sgt Pepper. Les périodes d’isolement imposées par cette retraite accoucheront des plus belles ballades des Beatles, mais contribueront sans doute encore plus à l’éloignement de ses membres.

Lassés à tour de rôle de l’enseignement de leur gourou, les Beatles rentrent chez eux avec les valises débordant de nouvelles chansons : la décision est prise de faire un double album, rendant plus facile la sélection. Le groupe se permet ainsi d’aborder des styles très variés, d’expérimenter encore mais beaucoup plus au niveau de la composition que de l’enregistrement. L’esprit est presque l’opposé du Sgt Peppers, qui proposait par moment des trouvailles géniales de studio sur des compositions pas terribles. On a ici des titres géniaux enregistrés souvent sans fioritures : pas besoin de développer pour qu’on voie tout de suite où va ma préférence. Car il est temps de l’avouer, je connais très bien le White Album, c’est même l’un de mes disques favoris, et dès le début de ce challenge Beatles la première place lui était quasiment réservée d’office. Il n’y aura donc point dans cet article le regard naïf des précédents, je me suis même documenté pour trouver quelque chose à dire. Car le revers de la médaille est qu’ayant écouté cet album des dizaines de fois mon jugement est complètement brouillé. Ainsi un disque abordant quantité de styles divers et enregistré par un groupe fissuré devrait logiquement se révéler quelque peu éparpillé, et c’est d’ailleurs une critique que l’on retrouve régulièrement : je n’y entends qu’un tout cohérent, un ensemble où chaque chose est à sa place, chaque élément, même mineur, même « Revolution 9 », est indissociable. Un fourre tout où chaque musicien a laissé libre court à son imagination sans le frein d’un autre membre ou d’un quelconque manager devrait contenir son quota de faiblesses : le nombre de chansons peu à mon gout est si faible que j’aurai meilleur temps de les citer plutôt que de m’adonner à ma traditionnelle sélection, qui va se révéler un casse tête ou un crève cœur si j’arrive un jour à en venir à bout.

Artwork

On parle beaucoup de cette pochette toute blanche comme contrepoint à celle très colorée et chargée du Sgt Pepper. C’est surtout la première (et même la seule) où les Beatles n’apparaissent pas. De même sur le poster intérieur composé d’un patchwork de photos, on trouve surtout des portraits de chacun des membres, les photos de groupe étant rares, petites, voire floues…

Début

Le titre introductif « Back in the U.S.S.R » est fort bien choisi, les Beatles annonçant d’emblée leur volonté d’un retour vers leurs origines (plutôt que vers une Russie fantasmée) avec un rock n’ roll bondissant agrémenté de passages surf music pastichant les Beach Boys, éternels rivaux. Le bruit des réacteurs d’avion ajouté à la chanson est prétexte à une transition en forme de grand écart, « Dear Prudence » étant aussi mélancolique que « Back in the U.S.S.R » est joyeuse. Cet hommage romantique à une jeune fille qu’on imagine fragile, avec des arpèges simples mais très beaux, une basse superbe et une accélération finale ne pouvait que me plaire : c’est en fait l’une de mes chansons préférées, et je m’étais précipité pour la réserver lors du Songs of the Beatles organisé par GT. En l’espace de deux titres, les Beatles ont planté l’univers de leur nouveau disque et irrémédiablement accroché l’auditeur, impatient et heureux d’avoir tant d’autres chansons à découvrir. Dommage que le « Glass Onion » suivant rompe le charme, n’ayant comme principal intérêt que les paroles moqueuses de John Lennon qui en rajoute une couche après « I’m the Walrus », se délectant à l’avance des interprétations que l’on donnera à ses absurdes Auto Name Dropping.

Les Ballades de John et Paul

Au lieu de travailler pour leur karma en Inde, John et Paul s’usent les doigts sur leurs guitares acoustiques et composent leurs plus belles chansons folks. Simples et contemplatives, touchant par leurs seules qualités mélodiques, elles font partie de mes titres favoris. Si Mc Cartney se fend des jolies « Mother Nature’s Son » et « Blackbird » (dont il est difficile de croire qu’elle parle du combat des noirs pour leurs droits plutôt que d’un petit oiseau), il se fait voler la vedette par Lennon et la pureté de l'ode à sa mère, « Julia ». A leur actif un folk moins réussi chacun, « I Will » et sa basse vocale irritante et « Cry Baby Cry » assez peu marquante.

"Wild Honey Pie"

Si Paul a gueulé en découvrant que John avait profité d’un de ses voyages pour placer en douce l’expérimental « Revolution 9 » sur le disque, il s’était pas gêné pour faire de même avec le bizarroïde « Wild Honey Pie » (bon, c’est vrai que son titre dure 53 secondes, soit presque 10 fois moins longtemps que celui de Lennon et Yoko). Si je cite cet anecdotique interlude, c’est juste pour parler de la version des Pixies, un des rares exemples indiscutable de « reprise meilleure que l’originale ».

Duels

Même sur des compositions plus légères, les Beatles se distinguent par leur capacité à créer des personnages marquants. A ma gauche, représentant John, « the Continuing Story of Bungalow Bill » ou l‘histoire d’un chasseur de tigre froussard – A ma droite, représentant Paul, «Rocky Raccoon», cow boy cocu et loser itou. Préférant le ton attristé et le piano bar du second titre à la charge moqueuse et théâtrale du premier, je déclare vainqueur Rocky, ça lui fera au moins un duel de gagné.

Coté féminin, à ma gauche Sadie et à ma droite Martha (représentant de même John et Paul). J’ai toujours adoré le piano, et je suis gâté sur cet album, notamment avec ces deux ballades. « Martha my Dear » est une guillerette déclaration d’amour soutenue par une fanfare dans un style music hall sympathique. Pas de quoi lutter cependant avec la mélodie de « Sexy Sadie » (m’évoquant avec insistance celle de « Karma Police » de Radiohead), titre qui est depuis longtemps l’un de mes favoris des Beatles. Et tant pis si le charme est un peu rompu lorsque l’on sait que la chanson est une charge violente contre le fameux Yogi Mahesh, accusé par Lennon d’avoir roulé tout le monde dans la farine. Bref, Sadie gagnante, même avec une moustache…

"Ob-La-Di, Ob-La-Da"

Une CharlieOleguerie détestée par de nombreux fans des Beatles, et surtout par Lennon lui-même (il faut dire qu’être enfermé pendant des heures à répéter différentes versions de cet unique titre doit être assez traumatisant). C’est sur que ce pseudo raggamuffin tout niais est loin des chefs d’œuvres boulversifiants des Fabs Four, et pourtant je ne le déteste pas, je dirai même que ce titre, avec ses rires de morse et ses cuivres réjouissants me communique toujours un peu de sa positive attitude. Oserai-je le mettre dans mes sélections session de rattrapage ?

From Blues to Rock

Les Beatles reviennent à leurs bases, mais s’ils s’autorisent parfois à broder sur des riffs éculés, ils apportent le plus souvent une touche d’originalité à ces compositions, des subtilités qui sonnent toutes simples à l’oreille mais sont révélatrices de leur savoir faire désormais immense. Voici donc 6 extraits du White Album par ordre croissant de tempo, moitié-moitié pour John et Paul dont la rivalité créatrice s’affiche dans tous les styles sur ce disque.

John en a gros sur la patate, coincé avec sa femme alors qu’il en aime une autre, il signe deux titres désespérés : le bien nommé « Yer Blues » d’abord, dont le classicisme est rompu par une accélération bien menée en son milieu, et qui retrouve le groupe uni comme rarement. Puis « I’m so Tired », qui vaut surtout pour sa partie vocale. Malgré une intro pétaradante, « Helter Skelter » n’est pas spécialement rapide, mais est surtout marquante par le son lourd des guitares électriques, qui lui vaut le titre de premier morceau Heavy Metal de l’histoire. Porté par un riff pour le coup original, « Helter Skelter », son double final explosif et son chant beuglé par un Mc Cartney survolté est l’une des pierres angulaires de la carrière des Beatles (et a donc donné lieu à des dizaines de reprises, dont celle de Noir Désir bien connue par chez nous).

Bien plus anecdotique quoique presqu’aussi énervée, « Why don’t we do it in the Road ? », une interrogation répétée par Paul enviant la facilité qu’on eut deux singes à s’accoupler devant lui, ce à quoi John, échaudé par l’accélération conséquente du tempo de ce chapitre, lui rétorque un « Everybody’s got something to hide except me and my Monkey » (certainement bien assimilé par les gars du Alice Cooper Band), sans que l’on sache si le singe de la chanson se réfère plutôt à sa Yoko ou à son Héro. Au final, Paul aura le dernier mot avec « Birthday », dont les différentes parties assemblées à coup de batterie bien pesante sont pas mal vues, mais dont le thème reste un peu léger quand même… Qu’on aime plutôt les compositions de Paul ou celles de John, leur point commun est une maitrise vocale indiscutable qu’il est difficile de départager.

George

Pauvre Harrison, il semble que l’éclatement des Beatles ne lui soit pas vraiment profitable, et qu’il doive le plus souvent se contenter d’un rôle d’interprète au service de Paul et John, qui mettent chacun trois fois plus de titres que lui sur le disque. Pour la première fois cependant l’un de ses morceaux se place aux yeux de la critique à la hauteur de ses deux collègues, le fameux « While my Guitar Gently Weeps » et ses non moins fameux soli de guitare. Si la composition est effectivement agréable (avec un chant remarquable), les soli sont en fait l’œuvre d’Eric Clapton, qui se remerciera en piquant la femme de son pote George. Le seul problème de « While my Guitar Gently Weeps » est qu’elle masque le vrai chef d’œuvre d’Harrison sur le double blanc, à savoir le folk éthéré « Long, long, long » qui envoie aux oubliettes « I’m so Tired », par exemple. Etonnant que ce morceau contemplatif ne soit pas plus connu, sans doute souffre-t il d’être placé à la fin de la Face la plus rock (et accessoirement la meilleure) du Double Blanc. A coté, « Piggies », amusante charge sociale, et « Savoy Truffle » (six saxo pour célébrer du chocolat), sont parfaitement dispensables…

Plus tard, George prendra sa revanche en vendant à la surprise générale 10 fois plus de son premier disque solo que Paul et John, le fameux triple LP All Things Must Past rempli de titres qu’il n’avait pu placer sur les albums des Beatles….

" Happiness is a warm Gun "

Condensé du talent de John Lennon avec trois parties enchainées en moins de trois minutes : une ballade mélancolique en arpèges, un blues avec une guitare électrique corrosive, et un final cynique aux chœurs désuets sur des paroles joliment tendancieuses…

Ringo

On ne s’attardera pas sur « Don’t Pass me By », première composition de Ringo Starr pour les Beatles qu’il réussi enfin à placer à la faveur de ce double album (c’est probablement le pire morceau du disque). Une chanson dans laquelle le batteur demande à une demoiselle de ne pas le négliger, à moins que cela ne soit une requête cachée aux autres membres du groupe. Complexé et attristé par le déchirement du groupe, Ringo fait ses valises et laisse sa batterie aux autres sur « Back in the USSR » et « Dear Prudence », avant de céder de bonne grâce aux suppliques de ses copains pour le faire revenir. Eux savent que leur batteur, plus connu pour sa bonne humeur que sa technique, vaut bien mieux que la bonne blague qui circule parmi les amateurs des Fab Four ne le laisse entendre (Ringo Starr n’est même pas le meilleur batteur des Beatles).

Evidemment Ringo n’est pas John Bonham, mais s’il ne s’étale pas en démonstrations excessives, il a fort à faire avec les changements de rythme diaboliques que ses compères imaginent pour leurs compositions, et c’est justement parce qu’il n’est pas si mauvais que l’auditeur moyen n’y remarque rien de difficile.

Quelques titres à écouter en ce concentrant sur la batterie (ce qui n’est pas évident) : « Birthday » pour un jeu rapide et bien marqué, « Sexy Sadie » pour un jeu plus subtil au service de la chanson, « Yer Blues » pour des changements de rythme bien amenés, et enfin « Happiness is a Warm Gun », dont la description Wikipédiesque suffit : Elle commence en 4/4, passe en 3/4 pendant la partie « I need a fix... », puis en 6/8, 3/4, 4/4... Pendant l'interlude parlé de la section finale, la partie instrumentale revient en 3/4 à part la batterie qui reste en 4/4.

Fin

Si la troisième face du Double Blanc est exceptionnelle, la dernière est globalement ennuyeuse et concentre la plupart des morceaux dispensables du disque. John et Paul semblent avoir été épuisés par le foisonnement créatif qui précède, et proposent des titres ramollis. Si Paul pastiche consciemment le style vieux music hall sur « Honey Pie », le John (pourtant sévère avec « Ob-La-Di, Ob-La-da », qualifié de truc de vieux) se fout un peu de notre gueule en intitulant son blues hippie « Revolution 1 » (ce qui, connaissant le bonhomme, était peut être fait tout aussi consciemment…) Il récidive avec le long collage « Revolution 9 » qui donnera de quoi analyser aux Beatlemaniaques ainsi qu’aux détracteurs du groupes pendant de nombreuses années. Qu’il ait voulu faire parler, emmerder Paul absent au moment de placer cette giga pièce montée sur le disque, ou s’amuser avec Yoko, Lennon donne surtout l’impression de s’auto satisfaire sur la plus longue piste figurant sur un disque des Beatles. Le White album s’achève sur une autre bizarrerie, une berceuse à la Walt Disney sur laquelle figure uniquement Ringo Starr et son orchestre. Aussi mineures soient « Revolution 9 » et « « Good Night », je trouve leur enchainement étonnamment bien trouvé et n’imagine pas le disque se terminer autrement. Peut être finalement qu’il n’y avait pas meilleur moyen de mettre un terme à ce chef d’œuvre…

Je suis assez curieux de voir comment les Beatles ont pu résister encore le temps de 3 albums, et surtout s’ils maintiennent le niveau de ce mythique Double Blanc. Car de la fin de carrière des Fab Four, je ne connais quasiment rien. Et c’est tant mieux….

Le défit de ma sélection: ne citer que la moitié des morceaux du White Album...

Qualifiés d'Office: "Dear Prudence", "Happiness is a Warm Gun", "Blackbird", "Julia", "Mother Nature's Son", "Sexy Sadie", "Helter Skelter", "Long, long, long"

Session de rattrapage: "Back in the U.S.S.R.", "Ob-La-Di, Ob-La-Da", "While my Guitar Gently Weeps", "Martha my Dear", "Rocky Raccoon", "Yer Blues", "Everybody's Got Something to Hide Except me and my Monkey"

the BEATLES

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