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Blinking Lights (and other revelations)
8 juin 2015

the Day the World went Away

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Je me souviens de son regard larmoyant. Il m'avait invité à prendre un verre, pour marquer le coup de cet événement important: je rachetais sa voiture. Juste avant de quitter la région, je profitais des tarifs du personnel PSA dont il faisait partie pour passer de la 205 à la 206, incrémentation symbole du début d'une ascension sociale dont je me contrefoutais déjà à l'époque. Devant notre verre d'apéritif, il m'avait confié le drame de sa vie: il avait passé deux ans à étudier pour obtenir un statut de cadre qui n'avait jamais été reconnu par PSA. Depuis, il marchait le dos courbé et les yeux humides et ne s'en était jamais remis. Naïvement, je lui posait la question: « pourquoi ne pas avoir changé d'entreprise, et pris un poste de cadre ailleurs? ». Incompréhension dans le regard, quasiment de la panique. Quitter PSA? Probablement que depuis 3 générations, l'idée n'était venue à personne de sa famille ni de son patelin. Je le laissais à sa misérable existence et filais à bord d'une 206 presque neuve vers ma nouvelle vie, à Lyon.


« Faut qu'ils arrêtent, là, c'est n'importe quoi! ». Sacrés collègues, ils s'imaginent quoi, que nos dirigeants vont stopper leur course folle et devenir subitement philanthropes? Mais ils s'en foutent si le navire coule, ils ont leur place bien au chaud dans un canot de sauvetage 3 étoiles! Et toi, tu vas rester là à te noyer, ils t'ont si bien bourré le crane que tu penses être un incapable, et que tu crois qu'il n'y a pas la moindre alternative que de bosser ici, dans ces conditions foireuses? Chercher ailleurs, se bouger, rêver d'autre chose? Même regard paniquée, avec une lueur supplémentaire de soupçon, comme si le simple fait de ne pas répondre « t'as raison, faut qu'ils arrêtent! » me mettait instantanément dans le même panier que ces « ils » fantasmés.


Pourtant je n'ignore pas la peur, ou plutôt, j'ai découvert la peur il y a une trentaine de mois. Avant, j'étais indifférent à tout (ce qui, soit dit en passant, n'était pas un très bon signe de santé mentale). Et puis Héloise est arrivé, et waouh! « qu'est ce qui se passe, là, elle hurle, elle a faim ou mal ou??? ». « Non attends, descend de cette échelle, tu vas tomber, put...tu me fous la trouille! ». « Et si ce truc de terrorisme, c'était pas uniquement électoraliste, et si y'avait un barbu qui se faisait exploser dans le métro lyonnais, juste quand ma gamine y est. D'ailleurs c'est qui se bronzé devant la porte de la crèche? Ah merde c'est juste le papa de Jasmine... ». « Bon sang, au chômage avec deux gamins, on va surement en chier ». Merde, ils m'ont eu. Il faut dire que l'Entreprise va mal, va très mal. Il n'y a qu'à voir les cravatés multiplier la communication sur le mode « on sue sang et eau à longueur de semaines de 60 heures pour sauver la boite », alors qu'en fait ils sont tous sur apec.fr pour trouver une place au chaud encore mieux payée. C'est Thomas, au fil de ses editos de plus en plus sombres, qui m'avait mis le nez dessus: attends Xavier, c'est pas ton Entreprise qui est une France en réduction, c'est la France qui est devenue une Entreprise... Putain si c'est ca, on est vraiment mal barré. Qu'est ce que j'aimerai faire quand le monde s'écroulera?


Du coup je me suis enfui, 15 jours de congé paternité, au chaud chez moi. Déjà que quand l'hiver pointe le bout de son nez gelé, j'ai une furieuse envie d'hiberner, alors dans ces conditions. Si en plus on me demande gentiment de rester à la maison, vous êtes pas près de me revoir! Je vais m'écouter en boucle les albums de Yann Tiersen, ces parfaites chroniques de mondes qui s'écroulent. Seule une virée au Gibert du coin aurait pu me faire sortir du bois, mais trop tard, mon pote Julien a craqué lui aussi. Hop, chez lui pendant un an! Au chaud avec ses gosses. Quand le monde s'écroulera, est ce qu'il aimerait comme moi être là, avec eux, à les regarder dormir paisiblement, à les regarder sauter sur les lits pour atteindre on ne sait quel ciel, à les regarder croire que tout est possible? Est ce qu'il aimerait comme moi être dans notre trois mètres carrés à la Croix Rousse, à s'échapper avec notre musique, à se dire que rien d'autre n'a d'importance, finalement, que nous on n'aura jamais le dos courbé et les yeux humides tant qu'on aura une guitare contre nous? Le rêve, ce serait une grande maison, avec trois logements séparés, et un jardin commun, et un studio de répète commun, bien sur! Les gamins chahuteraient dans le jardin, nos femmes taperaient la discute en se marrant, et nous ont joueraient nos morceaux, un qui s'impatiente, un qui blague, un qui peaufine. Tout ca ferait un tel boucan qu'on ne se rendrait même pas compte que le monde, pendant ce temps là, s'est définitivement écroulé.

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