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Blinking Lights (and other revelations)
1 avril 2006

AIR - A French Band

 

Dans l’histoire du rock, l’Angleterre et les USA ont joué des coudes, se sont tour à tour emparé du leadership, les américains l’emportant hier avec Nirvana et le mouvement grunge, la roue ayant tourné aujourd’hui plus en la faveur des English avec notamment Radiohead, Muse, ou la nouvelle vague « garage ».  Et nous les français, pas la moindre victoire à notre actif, rien à proposer en face, la honte suprême quoi ! (même les Belges nous enfoncent, c’est dire…). C’est que nous pensons peu au coté électro de la bagarre, où nous pourrions lancer rageurs à la face des anglophones le nom d’un Joker de luxe, trois lettres qui ont fait le tour de la planète : AIR.

 

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Au début, des gosses de riche s’amusent à pianoter dans des caves de Versailles, la chemise et la mèche bien en place, sur du matériel honteusement cher  pour attirer le regard d’adolescentes bien comme il faut (bon là j’invente, c’est comme ca que je les imagine…).  Deux d’entre eux plus doués ou plus motivés s’entendent et finissent par bidouiller un premier album de 30 mn sous le nom de Air, le bien nommé Premier symptômes. Le premier morceau est intitulé « Modular Mix »,  un bon indice de la teneur hautement électro de l’album, 100 % claviers et boite à rythmes. Mais pas de méprise, Air c’est la classe intégrale : avec des titres comme « Casanova 70 » ou « J’ai dormi sous l’eau », on est projeté dans des chaudes soirées d’été, un cocktail à la main, discutant peinard en costard en écoutant d’une oreille distraite les solos langoureux d’un pianiste ou d’un trompettiste. Bref, tout glisse à merveille, les deux compères plaçant ici ou là  un son familier de fréquence téléphonique ? (« Les Professionnels » encore un titre qui a la classe), une voix bidouillée ou le bruit de la mer (on passe de Versailles à la Californie).  On s’excitera simplement à la fin, quand un peu grisés par les cocktails on se déhanchera sur le rythme irrésistible de « Brakes on »,  morceau indiquant que Nicolas Godin et Jean Benoit Dunckel ont surement aussi tâté de la platine, au moins dans les soirées rallye… Je brode un peu sur cette image précieuse qui s’impose à moi quand j’écoute ce premier disque (sans doute influencé par la ville d’origine du groupe), mais il est indéniable qu’elle représente l’image des français dans de nombreux pays, et explique en partie le succès phénoménal du groupe à l’étranger (son immense talent mis à part bien sur).

 

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Succès qui explosera dès 1998 et la sortie de Moon Safari, avec son tube « Sexy Boy ». Ce titre jouant sur le contraste entre un rythme rapide basique agrémenté de coups de gratte électrique et des « voix féminines » (je mets entre guillemets car avec Air on ne sait jamais si c’est une nana qui chante ou la voix d’un des deux gars traficotée) sensuelles faisant penser à un générique de dessin animé (les paroles sont bien débiles aussi) a un coté universel qui propulse le French Band fièrement arboré sur la pochette au rang de méga stars. La même formule gagnante, en plus répétitif, est utilisée pour « Kelly watch the stars », autre single et autre succès. On retrouve dans cet album à la fois l’ambiance du précédent (« Talisman » ou « Ce matin là » et la trompette des premiers symptômes), avec cependant l’ajout d’une basse au premier plan et de guitares  discrètes, et un son qu’on retrouvera dans les futurs albums, comme ces arpèges de guitare acoustique sur « All i need » ou la mélodie de piano sur « Remember ».  Sur ces deux morceaux, la voix est  utilisée de manière bien différente : chant féminin à la mode Massive Attack sur le premier (style très peu vu depuis chez Air) et voix trafiquée répétant quelques mots sur le second, plutôt prise comme un autre instrument que comme un véritable chant (style qui caractérisera la plupart des futurs morceaux). Du très beau riff de basse se battant en duel contre le clavier sur « La femme d’argent », long morceau resté un grand classique des concerts de Air, aux nombreux instruments agrémentés d’effets du très mélodieux « New star in the sky », on mesure l’écart de qualité entre les morceaux des deux albums et la progression de leurs compositeurs.

 

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En 2000, Sofia Coppola a l’idée géniale de confier la bande originale de son film The Virgin Suicides aux deux français. Je ne sais pas ce qui a amené leur collaboration mais celle-ci donnera une des meilleures BO jamais sortie : rarement scénario et musique se seront aussi bien complétés, à tel point qu’on peut aussi considérer le film comme un gigantesque clip pour la musique de Air. Pour illustrer cette œuvre magnifique (pour qui aime les métaphores, les passionnés d’action ou de premier degré passeront leur chemin), Jean Benoit Dunckel et Nicolas Godin se sont appuyés principalement sur deux ambiances sonores. D’un coté des claviers aériens sur un rythme classique basse/batterie assez lent pour retranscrire la mélancolie indéfinissable de l’adolescence (« Bathroom girl », « Word Hurricane » ou le thème du film « Playground love » avec ajout de saxophone romantique et de paroles pour une fois poétiques écrites par un acolyte).  Le morceau « Dirty Trip » permet sur cette base sonore au bassiste (Nicolas Godin) et surtout au batteur (l’invité Brian Reitzell) d’exprimer plus longuement leur jeu exceptionnel et de claquer quelques beaux solos. D’un autre coté, une guitare acoustique fine sur un rythme bien éléctro permet grâce à l’ajout de claviers fantomatiques (style ondes Martenot) de créer une ambiance lourde et dramatique pour illustrer le coté plus suicidaire que romantique de cette même adolescence (« Clouds up », « Cemetery Party » ou « Dark messages » composé de quelques notes et d’un bruit de fond répétitif).  La fin de l’album, en écho à celle du film, intensifie ces impressions et se fait plus sombre.  De longs slides d’orgue se mêlant à une guitare électrique et à des claviers angoissants et nous voilà entourés de fantômes (« Ghost song »), un rythme cardiaque et des sifflements et c’est « Empty House », musique à la fois douce et macabre.  Puis le seul titre vraiment rapide, « Dead Bodies », avec piano et batterie déchainés sur fond d’orgue stressé conclue dans l’urgence cette glaçante trilogie.  Vient enfin le long final et la voix narratrice du film ici ralentie (une véritable voix d’outre tombe) sur une tranquille mélodie, un « Suicide underground » qu’on ne peut écouter sans frissonner.  Voici une véritable bande originale de l’adolescence, un modèle du genre composé par nos deux compatriotes.

 

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Forts du succès mérité de cette création, Dunckel et Godin s’enferment dans leur studio pour élaborer un disque ambitieux. En témoignent la pochette de l’album où on les voit dans un studio symboliquement placé en plein désert, et son titre 10000 Hz Legend volontairement imposant. Leur intention est clairement affiché par le premier titre, « Electronic performers » : utiliser les machines pour se rapprocher des émotions humaines (« we search new programs for your pleasure, i want to patch my soul on your brain, BPM controls your heartbeats »). Ils attaquent par une excellente intro (immédiatement reprise par la pub), une mélodie imparable à la guitare sur un rythme électro rapidement coupée par un rythme techno puis par une voix robotique posée sur un fond tranquille de piano. Tout au long de l’album, Air brouillera ainsi les pistes (au propre comme au figuré…), multipliant les rythmes et les faux départs, pulvérisant les évidences, jonglant avec les instruments et les ambiances. Ce mélange des genres, aboutissant à chaque fois à de longs morceaux (environ 5 mn chacun), serait très long à décrire titre par titre. Par exemple, l’instrumental « Radian » commence dans une ambiance chamanique, avec de la harpe, se mute en douce mélodie de basse et de flute, remplacée par des solos de guitare pour se terminer sur du piano.  « Dont be light » transforme une intro plutôt lyrique en excellente danse très rythmée puis en gratte électrique coupée par une poésie vampirique, puis ce conclue sur de la pop tranquille. Cette prise de risques constante ne se fait pas sans impairs : le jingle disco « Radio # 1 », le très déroutant « Sex born poison » et surtout le bizarroïde « Wonder milky bitch » laissent l’auditeur au bord de la piste. Mais aidés par de très bons passages (surtout ceux qui mêlent arpèges de guitare acoustique et rythmes aux claviers), la plupart des morceaux sont à la fois surprenants et convainquant. Deux titres sont moins perturbants : « How does it make you feel » est un bon rappel de l’ambiance Virgin Suicides, « The Vagabond », faisant appel à un autre bidouilleur de génie, Beck, mêle guitare et harmonica dans une belle évocation de son titre, le magnifique refrain nous projetant un moment au coin d’un bon feu de camp amical. 

 

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10000 Hz Legend est donc un album exigeant, qui ne se laissera pas dompter à la première écoute, et qui a découragé les oreilles peu aventureuses de nombreux fans. Air nous laisse sur un instrumental aussi énigmatique que son titre, « Caramel Prisoner », tout étonnés d’avoir été ainsi pris à contre-pied pendant une heure. Après cet album difficile et le très expérimental City Reading, où l’écrivain Baricco lit ses westerns en italien sur la musique de Air (dur dur !), ces derniers rassurent leur public avec la sortie de Talkie Walkie en 2004. D’une manière générale, cet album met les expérimentations de coté pour se concentrer sur de calmes mélodies, avec des rythmiques en retrait et un chant bien plus important que sur les précédents. A l’image de « Venus », morceau introductif au titre évocateur, une grosse première moitié de l’album est voulue très sensuelle, Air se dévoilant comme jamais dans les paroles (présentes dans le livret en compagnie d’une petite collection de photos persos marrantes et plus réussies que la pochette, ringarde).  « Cherry Blossom Girl », par exemple, qui reprend les bonnes formules du duo (supers arpèges, voix trafiquée, rythme binaire) est parait il illustrée d’un clip des plus évocateurs… Sur « Run », titre plus répétitif avec sa pluie de notes rebondissantes,  c’est les chœurs qui apportent une douceur et une chaleur évoquant le lit douillet du texte. On poursuit la tranquille ballade avec « Mike Mills », instrumental très mélodique (orgue et piano), puis la chanson pop légère « Surfing on a rocket », au refrain à chanter à tue tête.  Après cette partie homogène, les derniers titres sont plus dispersés. « Another day » au rythme plus lent et à l’ambiance lourde, nous rappelle que Air a composé Virgin suicides.  (« Cause it’s just another day, you will lose it anyway »).  Vient ensuite le passage creux, avec “Alpha beta gaga” et son sifflement dérangeant, puis “Biological”, titre peu harmonieux, au refrain inefficace.  L’album se termine sur « Alone in Kyoto », musique d’ambiance plaisante et très calme.  Talkie Walkie, album passant comme une lettre à la poste surtout dans ses premiers titres, rattrape donc pour Air le semi échec commercial de 10000 Hz Legend, mais alourdi par quelques ratés, passe à coté de la perfection électromantique. 

 

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Toujours prêts pour de nouvelles aventures musicales,  nos deux compères s’éparpillent un peu, Dunckel s’offrant un album solo (que je ne connais pas) sous le nom de Darkel,  et le duo enregistrant un album pour Charlotte Gainsbourg (que je refuse d’écouter, même s’il est surement très bon : d’après les singles, il s’agit tout simplement d’un album d’Air avec l’absence de voix de Gainsbourg par-dessus. Pourquoi faire croire à un album de cette dernière alors ?). On les retrouve donc cette année avec ce Pocket Symphony, dont certains ont trouvé la pochette jolie (originale à la rigueur, mais jolie…).  Le titre est un hommage à la chanson « Alone in Kyoto » de l’album précédent, symphonie de poche qui a tant plu aux deux gars qu’elle a servie de base et de motivation pour la création de celui-ci. On y retrouve en effet quatre instrumentaux du même type, le plus réussi étant « Night sight » qui clôture de manière habituelle chez Air l’album : c’est un titre tranquille et mélodique, qu’on verrait bien en musique de film. « Alone in Kyoto » apparaît d’ailleurs sur la bande originale de  « Lost in Translation », encore un film terrible de Sofia Coppola. Ce rapport étrange et étroit que Air entretient avec le Japon depuis le début du groupe apparaît ici en filigrane par l’utilisation d’instruments et de mélodies orientales sur les premières chansons : après l’instrumental « Space maker », comme en transition avec la fin de Talkie Walkie, « Once upon a time » en reprend le thème au piano (un peu à la Tiersen) et devient un très bon single, en partie grâce au support de la batterie. On ne quitte pas l’Asie avec l’intro de « One hell of a party », chanson triste interprétée par Jarvis Cocker dont la voix, pas au top, fait bizarre et décalé dans l’album. De même, on verrait plus « Somewhere between waking and sleeping », bien que mieux chantée par Neil Hannon,  sur un album de ce dernier tant elle sonne plus Divine Comedy que Air. Si le groupe s’appuie parfois sur une ambiance sonore bien connue (la grosse basse associé aux voix douces de « Napalm love », où la formule gagnante moulte fois décrite dans cet article sur « Photograph », qui reste quand même une de mes favorites), il a donc assez diversifié son album : outre ces instrus et ces guest songs, on trouvera une composition plutôt folk (« Left Bank ») et un pur rock basique (« Mer du Japon ») à peine interrompue par une pause marine chère au duo. C’est là la réussite du groupe, surtout sur ce Pocket Symphony, de toujours évoluer dans leur son, mais en douceur, en gardant un style reconnaissable entre mille. Certes on ne bondit pas d’enthousiasme à chaque plage, et on peut prendre la plupart des titres comme un fond sonore apaisant et classieux, mais une certitude s’impose à nous : ce n’est pas demain la veille que Air sortira un mauvais album !

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