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The Virgin Suicides a immédiatement fait partie de mes films fétiches, tant il incarnait le plus grand mystère de ma vie : ça fait quoi d’être une adolescente ? Si aujourd’hui j’ai quelques éléments de réponse - d’après ce que j’en sais, c’est la même période toute pourrie que pour les mecs mais avec tout un tas de contraintes supplémentaires qui en réduisent considérablement l’insouciance – lors de la sortie du film de Sofia Coppola la question occupait une large part de mon imaginaire et de mes préférences culturelles, alors qu’à 23 ans les quelques filles que je fréquentais étaient déjà adultes depuis belle lurette. Las, les pièces manquantes manquent à jamais, et n’ayant jamais été un Trip Fontaine (1), je ne m’identifiais que trop aux gamins tentant désespérément d’en savoir plus sur les jolies sœurs Lisbon au travers d’un journal intime volé ou de quelques scènes entraperçues avec une longue vue. Cette parfaite retranscription de l’adolescence (de mon point de vue masculin, mais le film étant réalisé par une femme, j’ose espérer que cela soit encore mieux du point de vue féminin), mélangeant quotidien tristement réaliste à fantasmes les plus improbables, s’appuie énormément sur une BO non moins parfaite.
Si Air avait fait un carton avec Moon Safari, il ne m’avait pas vraiment attiré avant le choc de ce disque que j’avais évidemment intégralement enregistré. Toutes en pulsations mystérieuses et mélodies éthérées, ses compositions hors du temps nous plongent dans un rêve moite où même l’habituellement honni saxophone langoureux trouve sa place (« Playground Love »). Des Sirènes nous attirent irrésistiblement de leur chant lointain couvert par des orgues lancinants, des fantômes passent qui lient amour et mort (incroyable son de « Ghost Song »). Mais ce que j’adore par-dessus tout dans cette BO, c’est (on ne se refait pas) les interventions ponctuelles de la batterie, tenue par un ébouriffant Brian Reitzell, notamment sur le seul titre au tempo bien rock, « Dead Bodies », l’un de mes instrumentaux favoris. Allié à l’excellent jeu de basse de Nicolas Godin (le point fort de Air), cela donne des titres superbes comme un « Dirty Trip » qui se prolonge pour mieux nous hypnotiser (la plupart des autres morceaux sont courts, ce qui n’est peut-être pas un défaut). En conclusion de cette œuvre mélancolique, la voix ralentie de « Suicide Underground » accentue l’impression d’être dans un rêve, un endroit sombre traversé de rayons lumineux, un moment triste et doux qui semble éternel et passe pourtant si vite. Chef d’œuvre de la musique française, la BO de the Virgin Suicides me propulsera fan du duo Versaillais pendant un bon moment, avant qu’il n’ait tendance à se reposer sur ses acquis et ne plus proposer que de pales resucées de sa glorieuse période.
(1) Personnage semblant valider le fait que les meneurs d’hier sont les losers de demain, mais ça je l’avais zappé à l’époque.
Du Mercury Rev première période, leur inaugural Yerself is Steam est de loin mon préféré. Démarrant sur un « Chasing a Bee » complétement barge, associant le chant vaporeux de David Baker (1), les guitares hyper saturées très inspirées par My Bloody Valentine, et une flute qui se balade tranquillement par-dessus le brouhaha, l’album ne déposera jamais les armes de l’expérimentation démente, quand bien même il se termine sur plus de 12 minutes de « Very Sleepy Rivers », psychédélisme opiacée au titre fort bien trouvé. Que ce soit dans les vagues de l’épique « Sweet Oddysee Of A Cancer Cell T' Th' Center Of Yer Heart », à dominante très rock, ou dans la douceur acoustique et lointaine de « Frittering », Yerself is Steam (dont les deux faces distinctes étaient baptisées Rocket et Harmony) garde une cohérence noisy et onirique qui en font un album aussi fascinant qu’indispensable.
(1) Comme quoi il n’y a pas que Malkmus pour chanter faux avec classe
Puisque nous avons remonté dans le temps la maigre discographie « officielle » du regretté Jeff Buckley, il est logique que nous le quittions sur sa toute première publication, l’EP Live at Sin-é sorti en 1993, juste avant le grand classique album Grace. Quatre titres enregistrés en concerts donc, deux compos et deux reprises, qui affichent sans aucun bémol le talent insolent de Buckley. Quelques minutes de « Mojo Pin » suffisent à se mettre à la place des privilégiés ayant assisté aux concerts de Jeff Buckley avant le gigantesque buzz du premier album, qui auront sans nul doute pressenti la légende en devenir à l’écoute de cette voix unique et d’une interprétation dont l’intensité n’a eu depuis que peu d’égale. Si j’aime beaucoup ses concerts en groupe, force est de constater que l’animal est tout aussi percutant en solo. Et si je préfère largement quand il paye son tribut à Led Zeppelin, sa reprise d’Edith Piaf en mode romantique a dû humidifier pas mal de petites culottes (en particulier françaises) à l’époque. L’Ep s’achève sur « the Way Young Lovers Do », longue reprise de Van Morrison qui consacre cette fois Buckley comme un excellent guitariste doublé d’un très bon performeur. A se demander si le Live at Sin-é n’est pas son meilleur disque… Pour ses dix ans il est d’ailleurs ressorti dans une version gigantesque, 21 titres et 13 monologues qui ont surement ravis les fans ultimes. Sans l’avoir écouté, j’ai le pressentiment que cette somme handicape plutôt l’impact du projet original…