Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Blinking Lights (and other revelations)
2 août 2023

GUNS N'ROSES - Le Choix du Rock

  

gnr 

 

Eté 1993, région de Satu Mare, Roumanie – La torpeur a envahi la petite maison dans laquelle nous logeons. Les autres membres de l’équipe se sont écroulés pour la sieste, je reste seul éveillé, luttant contre le sommeil. Le trajet non-stop en van depuis Marseille, les journées à s’occuper des gamins de l’orphelinat, les soirées à préparer les jeux et activités du lendemain, le trop plein d’émotions et les conditions sommaires : 2 heures de repos ne seraient pas de trop, mais il me faut ma dose. Je presse le bouton play du walkman. « What we've got here is failure to communicate. Some men you just can't reach… ». Le dialogue tiré du film Cool Hand Luke. Les arpèges, les sifflements, le calme avant la tempête. « Civil War » (1) lance Use Your Illusion II des Guns N’Roses, que j’écoute ainsi tous les jours du convoi, et puis de retour dans ma chambre Marseillaise en boucle jusqu’à en faire péter la bande de deux cassettes successives. Je ne me rappelle plus de ma première écoute, révélation immédiate ou juste accoutumance ultra rapide ? J’écoutais très peu de musique alors, j’avais eu quelques coups de cœurs, mais rien de comparable. Pourquoi cet album, pourquoi ce groupe ? La musique avait une grande importance dans notre convoi, des tubes mainstream qui nous réunissaient, quelques groupes de rock classique mis en valeur par un de mes mentor à qui je dois pas mal de découvertes (comme les Who), l’eurodance des Roumains, une nana fan de U2, les délires 80’s des fiestas. Tout ceci m’accrochait plus ou moins, mais ce fut cette cassette, amenée par une fille de l’équipe qui me l’offrira par la suite généreusement, qui fut mon épiphanie. Les Guns entrèrent dans ma vie, je ne sais s’ils la sauvèrent mais ils eurent en tout cas une influence considérable sur ce que je suis aujourd’hui. Ils remplirent le vide de mon existence et furent tout pour moi pendant environ deux ans. 

 

 

Fils ainé d’une famille nombreuse catho tradi, on ne peut pas dire que la vie était très fun pour l’ado que je fus. Même si mon éducation fut beaucoup moins stricte et fermée que certains cousins par exemple, tout un tas de principes moraux réglaient mon quotidien et heurtaient mon intelligence. Car dès le plus jeune âge, l’écart entre les principes de l’Evangile ou les sermons à l’église et les convictions ou opinions politiques de mon milieu suscitaient la plus grande incompréhension pour le garçon logique et terriblement premier degré que j’étais. Un écartèlement, visible sur mes agendas des premières années de Fac où citations bibliques et paroles de groupe heavy metal s’affrontaient au fil des pages, qui ne pouvait mener qu’à deux issues : le sectarisme ou le rejet. Pour le premier, un garçon fragile, ultra naïf, sans amis et sans culture ne pouvait qu’attirer rapidement les requins du genre : j’ai vécu pas mal de choses, j’ai eu très chaud mais ne me suis heureusement jamais complètement brulé. Par instinct, parce que je flairais quand même l’arrière relent de merde derrière les sourires, les moments amicaux et les belles demeures, et aussi parce que j’avais les Guns. Ils me montraient une autre voie, certes outrancière, souvent de mauvais gout, pas exempte de faux semblants non plus, mais qui semblait si insouciante et si cool. Ils me montraient la liberté, la plus précieuse : celle d’être soi-même en se foutant de l’avis des autres. A 46 balais, je n’y suis pas encore, mais presque.

 

IMG_20230802_0001

 

Etre fan des Guns ne m’a pas sorti de ma condition de loser, bien au contraire. S’ils conservaient des milliers de fan dans le monde, pour quasiment tous les gens que j’ai rencontré les années suivantes ils puaient du cul. Démodés, ringardisés par Nirvana et le grunge, victimes des frasques de leur leader. Je me suis fait cracher à la gueule plus souvent qu’à mon tour : si même dans ma période la plus fan je comprenais qu’on puisse ne pas aimer, j’en ai toujours voulu à leur haters pour la simple raison que la plupart ne les jugeaient que sur une reprise du « Knockin’ on Heaven’s Door » vaguement entendue à la radio ou les tenues imbittables d’Axl Rose et ne connaissaient finalement rien de leur musique. En réalité toutes les critiques formulées contre eux auraient pu s’appliquer à beaucoup de groupes que ces fameux haters écoutaient (2). Allez, au hasard, ne me dites pas que les looks des Cure ou de  la Mano Negra étaient moins ridicules, que les reprises ou albums de reprises n’étaient pas un passage obligé dans les carrières rock depuis la nuit des temps, que les Stooges ou David Bowie n’avaient pas fait scandale avec des épisodes cocaïnés douteux, que chacun n’a pas déjà entendu à propose de son groupe fétiche qu’ils « ont tout piqué à untel » etc etc etc. Les Guns payaient d’être tout en haut d’un ancien monde que pour des tas de bonnes raisons il fallait enterrer. Et ils avaient en leur chanteur une tête de turc toute trouvée. 

 

channels4_profile

 

Axl Rose venait d’une famille très religieuse, il a commencé à chanter dans une chorale à l’église. Elevé par un beau père violent (et selon ses dires violé par son père biologique à l’âge de deux ans), il se rebelle jeune contre toute autorité et quitte son patelin pour la cité de tous les vices : Los Angeles. C’est le mythe du gamin candide changé en voyou charismatique qu’on retrouve dans tant de groupes de metal, c’est le clip du titre « Welcome to the Jungle » dont le texte reflète cette transformation. Le chant d’Axl Rose n’est pas du tout faux comme le prétendent beaucoup de gens qui ne l’ont jamais écouté, ses 5 octaves couverts ne le placent pas non plus dans les meilleurs du monde comme le prétendent certains fans transis. En réalité on se fout de tout ceci, dans la grande tradition des chants éraillés du hard rock, inspiré de Bon Scott ou Dan McCafferty, il est simplement le meilleur pour la musique agressive du groupe : Axl a légitimement une rage immense, ça s’entend et ça convainc ceux qui savent. Avec son pote Izzy Stradlin’, Rose commence à écrire quelques chansons - le duo sera la cheville ouvrière du groupe, mais il leur manque un gang. Le fan de hard (Rose - chant) et le fan des Stones (Stradlin - guitare) embarquent un punk de Seattle (Duff McKagan - basse), un mordu de blues (Slash - guitare) et son pote déjanté (Steven Adler – batterie) et vivent la vie Sex Drug et Rock N Roll à l’excès. Cette richesse d’influences fera le succès de Guns N Roses, et aussi sa fragilité. La bande compose ensemble une dizaine de morceaux qu’elle enregistre en groupe et non en piste à piste. Appetite for Destruction est un de ces rares premiers album parfait de bout en bout, aucune mauvaise chanson, des tubes à la pelle, des riffs inoubliables, et un esprit rock sincère tiré de la vie des membres du groupe à l’époque et de leur entourage : un carton inévitable. Et déjà l’apogée artistique des Guns. En 1989, soit deux ans après la sortie d’Appetite et 4 ans après leurs débuts, les Guns terminent leur tournée par quatre dates en première partie des Rolling Stones à Los Angeles. Axl Rose, paradoxalement le plus instable mais aussi le plus clean du groupe, exige que ses potes arrêtent leurs différentes addictions, tous étant camés jusqu’à la moelle ou alcooliques, voire les deux. Ils y arrivent plus ou moins facilement (sauf Adler qui se fera virer), mais l’esprit du gang est mort, les potes se changent en associés. En 1991, sort le tant attendu successeur d’Appetite, paru en deux albums ultra chargés. Les Use Your Illusion sont des compilations de titres de toutes époques, certains récents, d’autres datant d’avant même le début des Guns, dont peu sont composés en groupe (beaucoup des meilleures chansons viennent encore une fois du duo Rose – Stradlin’). L’ensemble est très inégal, mais contient certains des morceaux les plus mélodiques et émouvants du groupe, mettant aussi en valeur le piano (avec l’arrivée d’un nouveau membre, Dizzy Reed), ce qui était l’une des raisons de ma passion pour le groupe par rapport à d’autres du même style. Ambitieux, les Use your Illusion installent un peu plus les Guns en tête des charts mais creusent les dissensions. La gigantesque tournée (deux ans et demi, 27 pays, quasiment 200 dates) qui s’ensuit et les sautes d’humeur d’Axl Rose fatiguent Izzy Stradlin’ qui jette l’éponge. Cela sonne le glas du groupe, aussi surement que la déferlante grunge qui arrive.

 

IMG_5913     IMG_5918

 

Autant dire que je découvre les Guns N Roses bien trop tard. Quelques mois après ce fameux convoi en Roumanie, le groupe sort the Spaghetti Incident ?, album de reprises qui cumule énormément de défauts (titre, pochette, single choisi…) mais qui s’appuie sur une setlist et une interprétation impeccable. J’admirais particulièrement Duff McKagan, que j’avais désigné comme mon virtuel grand frère, et dont je suivais les conseils musicaux scrupuleusement (je devins un grand fan de Johnny Thunders à sa suite). Les Damned, les Stooges, New York Dolls, la porte sur le rock s’était ouverte en grand. J’empruntais à la médiathèque des tonnes de disques, dévorais des magazines, découvrait le rock alternatif selon le chemin (rapide) décrit sur ce blog dans ma rubrique « Tape Story ». Je délaissais les Guns au profit des Smashing Pumpkins, de Radiohead, de tant d’autres. L’explosion officielle du groupe en 1994, après un ultime enregistrement ou personne ne se croisa (la dispensable reprise de « Sympathy for the Devil » pour la BO d’Entretien avec un Vampire) ne fut pas un crève-cœur, à l’exception de ne jamais avoir vu le groupe en live du temps de sa splendeur, pour le Use Your Illusion Tour dont j’avais poncé des bootlegs avec admiration. J’achetais par acquis de conscience leur double  live officiel paru bien trop tard (Live Era 87-93, sorti en 1999), sans l’écouter avec la passion que j’aurais pu y mettre quelques années auparavant. Je n’avais aucune attente sur la blague Chinese Democracy avec des Guns devenus une coquille vide tenue par le seul Axl Rose en roue libre et cinglé comme un savant fou dans son studio d’ivoire, et la montagne de dollars accoucha sans surprise d’une crotte de souris. Il repartit en tournée avec des musiciens trouvés à droite et à gauche capables de le supporter. Grossi, vieilli, méconnaissable, la voix flinguée, le chanteur fut une nouvelle fois l’objet de toutes les moqueries, alors que l’époque avait plutôt tourné aux pincettes concernant les problèmes physiques et mentaux des uns et des autres : juste retour de bâton, peut être…  

 

 

Je suivais de loin les carrières des ex membres du groupe, comme on prend des nouvelles de temps en temps de vieux amis, avec des bonnes surprises (Velvet Revolver ou, récemment, le très bon disque solo de Duff) et des mauvaises (quasiment tous les albums de Slash). Mais rien de plus : j’avais fondé une famille, j’écrivais sur mon blog sur des myriades d’artistes sérieux et confidentiels, j’avais même créé un groupe, je m’étais fait plein de potes grâce à la musique. J’avais parfois la joie de trouver parmi eux quelques fans des Guns. Certains étaient surtout fan de guitare et donc de Slash, tant le virtuose restait difficilement égalé dans le cœur des acharnés de la 6 cordes. Mais d’autres étaient comme moi d’authentiques amateurs de leur musique, renversés à l’époque par les tubes des chevelus rebelles. Ceux-là m’étaient immédiatement sympathiques, ils ignoraient le snobisme, des bons vivants qui n’avaient pas besoin de dauber pour exister. Parmi eux l’ami Fred, connu grâce aux blogs et retrouvé par hasard au boulot. En 2017, il se motivait avec Nico, un autre collègue, et leurs copines respectives, et choppait des places pour voir les Guns N Roses au Stade de France. J’hésitais, la somme à claquer me paraissait dithyrambique par rapport à l’enjeu (même si Slash et Duff étaient de retour dans le groupe) et puis un concert dans un stade… Je regrettais un peu de ne pas en avoir été, vu la setlist incroyable et le fun que mes potes avaient pris. Entre temps, mon fils Malo s’était mis à la batterie et explorait ma discothèque en commençant par la base : le hard rock. Parmi ses choix, Metallica, System of a Down, Alice Cooper, Offspring et Guns N’ Roses. Avec le Appetite for Destruction, évidemment, unique chef d’œuvre du gang. Aussi je me mettais à guetter les tournées, et lorsqu’une date parisienne s’annonça, je me lançais d’autant plus facilement que le jour était parfait (juste avant mes vacances) et que le concert avait lieu en intérieur. Cerise sur le gâteau, Fred et Nico étaient partants (même si ce dernier dû renoncer à cause de sa santé). Comme la plupart des copains de ma génération, j’allais voir mes idoles d’adolescence. Trop tard bien sûr, et pas forcément avec l’envie de retourner dans un passé dont j’étais globalement bien content d’être débarrassé. Mais en hommage à ce choix du rock qui m’avait tant apporté, à ces lointains grands frères, à ces mélodies immortelles. Et surtout pour vivre un moment inoubliable avec mon fils, comme je n’en vécu pas avec mon père, avant que les Guns ne deviennent grabataires et raccrochent ou cassent leur pipe en metal, et avant que Malo ne soit trop grand pour suivre avec enthousiasme son vieux. 

 

(1) chanson qui, par un hasard extraordinaire (je l’apprendrais bien plus tard), était parue en avant-première sur la compilation Nobody's Child - Romanian Angel Appeal au profit des orphelins Roumains…

 

(2) je repense encore au gars qui me fit découvrir les Pumpkins (loué soit-il) et qui m’avait dit que les Guns étaient une imposture car ils avaient été photographié au Ritz. Comme si Corgan dormait au Formule 1 du coin quand il partait en tournée Européenne… Amusant d’ailleurs de voir le n’importe quoi que sont devenus les deux chanteurs au fil des années, et finalement pas si absurde que ces deux groupes soient les seuls dont j’ai été un véritable fan. Comme s’il fallait ces failles béantes, ce grandiloquent mélange de brio et de ridicule, pour que je me sente en phase…

 

e944b4f0-44c4-4ac8-8529-cf6fa7d2ca65

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité