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Blinking Lights (and other revelations)
1 avril 2006

Lisa GERMANO - What a Geek !!

Quel est le point commun entre Eels, Calexico et Yann Tiersen (trois de mes artistes favoris) ? Ils ont tous travaillé avec la mystérieuse Lisa Germano, une multi instrumentiste dont le talent a impressionné de nombreux grands noms de la musique (Ivo Watts Russel en tête), mais dont la propre discographie reste méconnue du grand public. Celle-ci est d’ailleurs assez déclinantes depuis quelques années, c’est pourquoi je m’attarderai beaucoup plus sur ses débuts et son chef d’œuvre de 1994, Geek the Girl, faisant partie de mon vénéré triptyque féminin dépressif (avec Hips and Makers de Kristin Hersh et What would the community think de Cat Power).

 

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Lisa Germano a commencé son éducation musicale avec le piano, mais elle se tournera ensuite vers le violon, qui reste son instrument de prédilection. Celui-ci occupe donc logiquement le rang principal de son premier album, On the Way down to the Moon Palace, dont le titre fait référence à un conte de fée. La fée habite le Palais Lunaire en question, personnage transparent vivant à travers la lumière des autres*. On ne pouvait mieux résumer ce fragile album, constitué de folks ou de blues  minimalistes entrecoupés de petits instrumentaux évoquant des berceuses enfantines. L’ambiance est à la mélancolie, Lisa chante d’une voix douce sa solitude face à l’indifférence et au silence de son amoureux. Ceci n’exclue pas quelques élans révoltés, exprimés par l’apparition occasionnelle de la batterie ou  par la guitare électrique sur le blues énervé « Dig my own Grave ». Les moments les plus émouvants se situent en fin d’album, avec des ballades au chant optimal (« Bye bye little doggie », « the Other One ») dans un style qu’elle développera sur les albums suivants.

 

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Si On the Way down to the Moon Palace avait encore un pied dans l’enfance, Happiness marque la prise de conscience des difficultés relationnelles propres à la vie adulte ; Lisa Germano y décrit le thème central de ses chansons :  les trahisons et les mensonges de ses relations, qu’elles soient amoureuses ou professionnelles** (« Relationships Are like a cow Growing strong Just for now ») ayant pour conséquence une recherche solitaire du bonheur (« Happiness is like TV, on or off, it’s up to me »). Cette solitude et ce sentiment d’abandon donnent à l’album une connotation triste et résignée, avec une voix souvent désabusée et des paroles parfois très cyniques, par exemple dès l’introduction « Bad Attitude » (« You wish you were happy but you're not..hahahaha But if life was easy you wouldn't learn anything, now would you? ») ou plus loin sur la chanson « Puppet » (« I used to have a thought or two But now I only smile »). Ce début d’album est composé de titres plus longs et plus complexes, le violon et le piano sont toujours présents mais plus en retrait, accompagnant de belle manière (la mélodie de « Destroy the Flower ») un format classique basse discrète – batterie – guitare électrique. Cette dernière, assez saturée, forme avec la voix fragile  de la chanteuse un duo tout en tristesse et rage contenue (« Everyone’s Victim »). Si « Happiness », chanson centrale au propre comme au figuré, reste dans ce registre, la suite de l’album est plus calme. La guitare folk est de retour, alternant entre country (« Energy ») et petites ballades dont la superbe « the Earth » où Lisa Germano chuchote de manière désespérée « Enough, How much Can I Accept, Enough ». Sur « Sycophant », des nappes de violons presque dissonantes provoquent une tension palpable, qui est ensuite relâchée dans un petit instrumental au piano. Cette technique sera utilisée avec bonheur tout au long de l’album suivant. L’album se termine calmement au piano, alors que la nuit tombe autour d’une Lisa Germano plus seule que jamais, sur « the darkness night of all » et ces derniers mots « You've gone away
Goodnight
»… (Sauf sur la réédition par 4AD, qui nous permet certes d’admirer un artwork joliment dérangé du célèbre Vaughan Oliver, mais ajoute les quatre titres de l’Inconsiderate Bitch EP déjà présents sur Happiness dans des versions légèrement différente, ce qui l’alourdit inutilement et gâche cette fin intimiste).  

 

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Hi this is the story of Geek the Girl, a girl who is confused about how to be sexual and cool in the world but finds out she isn’t cool and gets constantly taken advantage of sexually, gets kind of sick and enjoys giving up but at the end still tries to believe in something beautiful and dreams of still loving a man in hopes that he can save her from her shit life… ha ha ha what a geek! 

Après avoir testé les limites des liens affectifs, Lisa Germano explore la sexualité et n’y découvre qu’encore plus de trahisons et de manipulations. Le glacial album qui décrit ses expériences, intitulé cyniquement Geek the Girl, est un véritable chef d’œuvre d’écriture. Par sa cohésion à la fois musicale et thématique, ce disque assez court semble raconter une histoire de manière bien plus réaliste que n’importe quel concept album alambiqué. Dans sa grande majorité, l’album est construit sur l’opposition entre les instruments sous tension (guitares lourdes, violon crissant, voire flute dissonante sur « Cry Wolf ») et le chant triste, souvent chuchotée, de Lisa Germano. On a ainsi l’impression d’un monde obscur et hostile qui entoure la chanteuse démunie, ce point de vue de victime se retrouvant dans beaucoup des textes. Victime plus ou moins responsable des désirs de ses mauvaises frequentations masculines (« Sexy little Princess, say you loved it », « And as I act I hate myself» sur Trouble) qui finirons par franchir les limites sur “Cry Wolf”, au titre évocateur («She's says she'll give it, cry, cry wolf A change of mind in a back seat or that dirty room They say she got just what she wanted»). Victime aussi d’une agression dont on devine qu’elle est la « Secret Reason » du premier titre, et qui sera évoquée plus clairement sur la pièce principale de l’album, intitulée « …A Psychopath ». Dans cette chanson, quelques notes de guitare évoquent l’attente paralysée d’une fille séquestrée par un psychopathe amoureux, piano et violon malsains se déchainant à chaque apparition du déséquilibré. Lisa Germano a en plus ajouté en fond un véritable appel d’urgence à la police, rendant le résultat absolument terrifiant. L’ambiance n’est pas des plus gaies, le mental de la chanteuse est logiquement en piteux état (“Geek the Girl”: « Run, run, 'cause you're not too cool, Keep it hidden 'cause you're not too cool »; “Cancer of Everything”: « I'm not trying hard, I'm not sleeping well, I'm not growing, I won't do anything»). Seul échappatoire, déjà évoqué dans l’album précédent, le refuge dans les souvenirs d’enfance, ici représentés par de petits instrumentaux, notamment un morceau de style folklore Italien (origine de l’artiste) qui revient régulièrement au cours de l’histoire. Ces passages, bien que nostalgiques, nous font sortir un bref moment de l’ambiance oppressante du reste de l’album. Malgré tout Lisa Germano n’est pas dupe sur ces espoirs puérils, et parle de ses utopies au passé (« People. All us fucked-up people, Can't we see beyond the pain of losing one another? I had this dream Of Love & Colors»), brisant les illusions en quelques phrases lapidaries sur le dernier titre de l’album, “Stars” (« Why do people like stars, they're so far away They're always there and safe to look at»). Rarement musique et texte se seront autant unis pour exhumer toute la noirceur des amours réduites à un mot : désillusion. D’ailleurs, la chanson la plus mélancolique, et certainement la plus belle, de Geek the Girl, intitulée « A Guy Like You », est un monument d’écriture sur l’incompréhension dans un couple (« What makes me angry, just makes you sad… There's something you need me for, but I can't give anymore I gave it all away, less and less everyday What makes you crazy, takes me there too »).

 

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Réalisé deux ans après, Excerpts from a love circus est un album de transition. On retrouve l’ambiance du précédent sur quelques titres (l’intense « Beautiful Schizophrenic »), mais la plupart des chansons sont teintés de la douce mélancolie qui prévaudra sur l’album d’OP8, un rock lent et rythmé agrémenté d’une voix toujours aussi fragile (bel exemple avec « Victoria’s Secret »). Rejoignant parfois les morceaux les plus lisse de Eels (« Baby on the plane » est la copie conforme de « Mr E’s beautiful blues »), l’humour en moins, Excerpt from a Love Circus est beaucoup moins prenant que ses prédécesseurs, et flirte de temps en temps avec l’ennui. Malgré tout l’ensemble reste agréable, notamment grâce à l’utilisation de nombreux instruments (clarinette sur le petit folk à l’ancienne « Forget it it’s a mystery », instruments orientaux sur « Lovesick ») et au très beau final lyrique « Big big world ». Lisa Germano décrit une fois de plus en détail ses tourments, cernant avec réalisme son manque de franchise et sa lâcheté face aux sentiments contradictoires que lui inspirent ses haïssables amoureux, mais aussi sa propre personne.

 

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Comme un symbole de sa carrière, l’album le plus connu de Lisa Germano n’en est pas un, mais une parenthèse née d’une rencontre, comme on en croise parfois dans le rock. Slush est en effet sorti sous le patronyme d’OP8, groupe constitué de la chanteuse, d’Howe Gelb (leader de Giant Sand) et de ses deux ex acolytes, partis fonder Calexico (les excellents Joey Burns et John Convertino). Un batteur et trois multi instrumentistes, ce n’est pas le meilleur moyen de créer une synergie : en fait presque chaque titre porte l’empreinte marquée de son compositeur. Les meilleures collaborations sont l’apport des belles parties de guitare de Joey Burns sur l’excellent « If i think of love », single écrit par Lisa Germano, mais plus guilleret que les précédents, et « Cracklin’ Water », belle douceur poétique d’Howe Gelb, sublimée par la voix de l’américaine. A part ca on retrouve Calexico sur « Lost in Space », « Never see it coming » et la reprise « Sand » (Convertino se contentant d’un accompagnement discret sur les autres titres), Germano sur « It’s a Rainbow », bonne ballade dans la lignée d’Excerpts from a love circus, et l’esprit de Giant Sand sur l’improvisation jazzy « OP8 ».  C’est aussi l’occasion de (re)découvrir l’énorme talent d’Howe Gelb, pilier du rock indé américain (30 albums ?) peu connu en Europe, au travers de ses magnifiques et calmes contributions (« Cracklin’ Water » ou « Leather »). S’il rate un peu le mélange des genres, Slush reste un excellent album de rêveries, malgré un dernier quart assez chiant.

 

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Publié l’année d’après, Slide s’éloigne des guitares tout en restant dans le registre calme et mélancolique, pour un résultat en demi-teinte. Après un début vraiment passable, la qualité augmente tout au long de l’album pour un final plus intéressant. On retiendra deux beaux titres au piano, « Wood Floors » et surtout « Guillotine », qui évoque avec beaucoup de justesse une rupture amoureuse. Lisa Germano éprouve ensuite les pires difficultés à être produite, et devra attendre jusqu’en 2003 pour sortir Lullaby For Liquid Pig. Malgré l’espacement, cet album est parfaitement dans la continuité de Slide, la seule différence étant l’apparition discrète d’ambiances électros sur quelques titres, comme « Liquid Pig ». Lisa Germano en profite pour placer des effets sur sa voix, qui n’est plus irréprochable sur cet album mineur. On peut facilement passer à coté de In the Maybe World : si on l’écoute trop superficiellement, il n’aura pas beaucoup plus d’impact que le précédent. Et pourtant en se l’appropriant et en choisissant le bon moment, ce dernier album se révèle beaucoup plus réussi. En fait Lisa Germano va encore plus loin dans son travail d’épure commencé après le Geek the Girl, qui par certains cotés peut être vu comme son parfait opposé. En effet plus la moindre tension n’est présente ici, il y a énormément de silences, de soupirs, les morceaux sont très court et l’album lui-même ne dure que 30 mn. Ceci concorde parfaitement avec la pochette, représentant des corbeaux sur fond enneigé, et avec le thème de l’album : la mort (« Too much Space » : « In the morning without a sound And the stirring of dreams around Then you wake up He wasnt there again»). On retrouve alors l’ambiance de certains morceaux de Eels (« In the Maybe World ») ou de Sparklehorse. Dans la même idée, des morceaux sont  uniquement interprétés au piano, les compositions ayant gagné en émotion (on pense parfois à Tiersen) comme « In the Land of Fairies », parfaite illustration sonore de son titre. Pour accentuer l’impression de monde étrange et silencieux, rempli de fantômes  et d’elfes, Lisa Germano n’hésite pas à incorporer à ses interprétations très pures des fausses notes et des passages décalés. L’effet est réussi, même s’il faut un moment pour s’y habituer. Un album plein de solitude et de noirceur, comme gelé dans l’attente d’un éventuel printemps.  

* Cela peut être vu déjà comme un symbole de la carrière artistique de Lisa Germano…

 ** Apparemment Lisa Germano se serait fait planter plusieurs fois par différents labels, mais aussi par des groupes dont…. Les Smashing Pumpkins…

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