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Blinking Lights (and other revelations)
2 mai 2015

Laetitia SHERIFF - Games Over

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Il fallait absolument que je fasse cet article avant de partir en vacances, pour combler (modestement) le vide médiatique qui a accompagné la sortie de l’excellent deuxième album de Laetitia Shériff, Games Over. Les artistes de ce style et de cette qualité sont pourtant si rares en France…

En 2004, il me semble pourtant que Codification avait fait à juste titre un peu de bruit à sa sortie. Trop rapidement associée à PJ Harvey (comme toute nana qui fait un rock poignant plutôt que de la pop légère), ressemblance qu’on ne ressent que vaguement sur le premier titre « Roses » à la rythmique lourde et saturée, Laetitia Shériff est bien plus la pendante française de  Shannon Wright  (on voit déjà à quel niveau elle se situe). L’ambiance pesante de l’album Codification, souvent mise en place par une grosse basse et quelques notes de guitare tristes comme un crachin sur une ville polluée, est à rapprocher des albums de l’américaine, mais avec une production beaucoup plus travaillée. Avec l’aide de ses deux acolytes, Laetitia Shériff interprète de sa belle voix, souvent mise en sourdine, de glauques histoires de manière plutôt simple et efficace, dont on peut retenir au moins deux tubes potentiels (dans un monde meilleur, cela va de soit…) : « Codification » (surtout pour son refrain) et « …bind » dont on se demande pourquoi elle n’est pas passée plus à la radio. La disque est cohérent même sur les chemins de traverse que sont les deux petits instrumentaux (quelques mesures suffisent à poser une ambiance) ou sur le mélodique « the Date », seul titre à ne s’appuyer que sur des arpèges de guitare et un texte sobre et émouvant. Les meilleurs morceaux sont à chercher en milieu d’album avec les intenses « Aquarius » et « that Lover » qui après avoir hésité entre accords musclés et pauses mélodiques finissent par s’intensifier dans une déferlante quasi punk. A noter aussi « Music Box », qui avec son gros son de basse et son rythme presque électro, évoquant un Cocteau Twins qui se serait surpassé pour ne pas être chiant, préfigure certains des excellents morceaux de l’album suivant. Codification est une merveille, accompagné en plus d’une pochette magnifique qui interdit de ne pas acheter le CD, dont on se demande comment il n’apparaît pas plus souvent dans les favoris des amateurs français de musique « indé ».

En voyant la pochette du Games Over, je me suis jeté dessus sans réfléchir, attiré par l’artwork et par le souvenir (un peu lointain) du Codification, et bien m’en a pris, comme on va le voir. Tout d’abord le « livret », aussi splendide qu’il n’est pas pratique, puisqu’il consiste en un paquet de feuilles volantes présentant au recto une carte à jouer illustrant un titre dont les paroles sont au verso, dans un style symbolique/ésotérique qui m’a toujours beaucoup attiré. Beaux dessins en noir et blanc collant parfaitement à l’ambiance de Games Over, dont le titre suggère bien qu’elle n’est pas particulièrement ensoleillée. Et de fait, on démarre par la plus longue chanson de l’album, dont les tragiques notes de piano prennent le rôle attribué à la guitare sur l’album précédent. Le rythme est marqué par des tapements de mains qui s’ils donnent un effet joyeux aux chansons rapides sont plutôt lugubres sur de lents tempos, ce qui est bien sur le cas ici. Agrémentant le fond glacial de cette chanson décrivant la solitude d’une personne confrontée à l’ignorance de ses origines (« the Story won’t persist in being a closed book »), les cordes font une première lyrique apparition. On retrouvera cette ambiance et ce piano crépusculaire sur « Black Dog », qui voit pour sa part l’introduction de rythmes électroniques qui prendront plus d’ampleur en fin d’album. Les chansons vont d’ailleurs bizarrement le plus souvent par paires. Ainsi l’enchaînement « Let’s Party » et « Hullabaloo », fausses chansons joyeuses basée sur un riff rock de guitare répété  plutôt classique dont l’énergie cache des paroles assez pessimistes sur l’état de la planète et de ses habitants. « Hullabaloo », dénonçant les dérives de la télé, sonne comme un Throwing Muses moderne, impression qu’on retrouvera par petites touches sur d’autres titres. Après une chanson plus pop, mais pas forcément plus facile d’accès, mêlant religion et sexualité dans un thème très PJ Harvey (« Memento, put her in a picture »), Laetitia Shériff, toujours accompagnée de ses deux excellents collaborateurs Olivier Mellano et Gael Desbois, propose un autre diptyque plus calme évoquant Bjork. Si « Like Ink with the Rain » reste une chanson d’ambiance avec cordes et pluie, telle un Mercury Rev timide, « Cosmosonic » enfle progressivement jusqu’à atteindre des arrangements quasi Zeppelinien sur son final. Ces deux morceaux sont en outre bien servis par de sobres apparitions d’une guitare très mélodiques. Pas avare en changements de styles, Laetitia Shériff enchaîne avec deux titres très différents, dont les rythmes electros sont si surprenants qu’ils seront associés dans mon souvenir à l’ensemble de l’album après ma première écoute. On commence par « Easily Influenced », comme sorti des années New Wave, dont la voix parfaite et la nouvelle apparition divine de la guitare n’expliquent pas tout à fait la forte impression qu’il m’a fait : certainement mon titre préféré. Puis « the Evil Eye », qui donne une idée de ce qu’auraient pu être les Cars s’ils avaient été bons. Un petit passage par le grunge, pour une chanson violente sur l’amour et la solitude (« Solitary Play »), et on attaque déjà la fin de l’album, avec « Lockless », encore une belle démonstration de la française. Elle invoque des rythmes vaudous pour nous tenir enfermée dans sa composition, tels les pauvres poissons cernés par le serpent sur la pochette, le danger se rapprochant au fur et à mesure que les larsens et la batterie la font évoluer en un rock dont on aimerait se libérer : hélas, hypnotisés, nous écoutons fascinés jusqu’à la dernière note cet hommage désespéré à notre liberté perdue. Au final ne nous reste que nos amours foirés, tristement décrits sur le lent « There, high » final, interprété à l’orgue, dont le début fait irrémédiablement penser à celui d’ « Hyperballad » de Bjork.

Très cohérent sur les thèmes abordés (solitude, amour et manque confié sans trop d’espoir à un ailleurs spirituel), l’album aurait pu pâtir d’une trop grande variété de styles. Mais c’est toute la force de Laetitia Shériff (sans doute sa voix superbe, aux registres et phrasés incroyablement variés) d’avoir au contraire rendu cela passionnant, alors même que la plupart des sonorités évoquées plus haut (plutôt années 80, donc) ne sont vraiment pas mes préférées. Et pourtant, nous tenons là probablement un des disques les plus réussis de l’année, dont la richesse globale ne peut très certainement se révéler qu’au prix d’un nombre d’écoutes élevé. Et c’est tant mieux, puisque c’est le sort qu’on réserve à Games Over.

 

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