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Blinking Lights (and other revelations)
1 avril 2006

YO LA TENGO - atypique trio

A la fin des années 80, l’étincelle du rock alternatif allume la mèche d’une bombe qui explosera avec Nirvana et le grunge, écrivant l’un des chapitres les plus géniaux de l’histoire du rock. Histoire qui aujourd’hui a balayé un mouvement devenu mode et ceux qui tentèrent de profiter de la vague pour se faire connaître. Seuls les pionniers continuent avec opiniâtreté à défendre cette vision anti commerciale du rock, avec à leur tête les célèbres Sonic Youth et leur discographie passionnante quoiqu’en dents de scie. Moins connu et à mon sens plus constant dans la qualité est le trio Yo La Tengo, né en 1984 à Hoboken USA ;

 

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Leur carrière commence doucement avec l’album Ride the Tiger, plaisant mais peu original ; 15 timides chansons de format assez similaire, sonnant très vieux rock, dont ressortent par endroits des traits de caractère des chefs d’œuvre à venir : l’humour pince sans rire de « the Way some people die », le solo tordu de « Screaming lead balloons » ou le bel instrumental « Living in the country ». Les productions suivantes (President Yo la tengo, Fakebook) sont à l’avenant,  excepté le New Wave hot dogs qui bizarrement possède déjà le son déjanté propre aux futurs albums. Le premier très bon album de Yo la tengo, sorti en 1992, s’intitule May i sing with me. Débutant de manière tranquille par un instrumental à la guitare, le groupe fait entrer en jeu en cours de morceau la batteuse Georgia Hubley qui pour une fois a plus été choisie pour sa qualité technique que pour son physique. Avec l’aide d’une basse métronomique elle forme un fond  rythmique répétitif à la Can sur lequel Ira Kaplan pose des notes saturées et anarchiques, comme sur les 9 mn de « Mushroom cloud of hiss ». Pour reposer l’auditeur de ces morceaux fous, Yo la tengo prend soin de soigner son registre calme (« Swing for life ») et utilise au mieux le mélange des deux voix du couple leader (« Upside down », « Always something »), même si le calme cache parfois la tempête (« Five cornered Drone »). Comme en plus ils connaissent la formule du bon riff (« Some kinda fatigue », parfait en single) et aiment aussi les chansons vite fait bien fait à la Ramones (« 86 second blow out »), la surprise est au rendez vous sur quasi toutes les plages. En final, le bien nommé « Sleeping pill » nous présente ce qui deviendra une spécialité du groupe, le titre long et lent comme un fleuve, sur les rives duquel résonnent les cris espacés d’une guitare bien électrique.

 

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Painful débute sur ce mode, avec le très très lent « Big Day Coming », pas trop à sa place en tête d’album, suivi plus logiquement par le single bien péchu « From a motel 6 ». L’album se poursuit par une succession de titres mous du genou (« Nowhere near ») ou de rocks anesthésiés par le remplacement dans les solos de la guitare par un clavier (« Sudden organ »). Il faut attendre « I was the fool beside you for too long » pour respirer à nouveau l’air dément des Américains. Sur leur lancée, ils terminent par une version électrique de « Big day coming » sur fond de larsen (prouvant que les chansons précédentes auraient pu être bien meilleures avec les arrangements adéquats) et par un extraordinaire instrumental énergique, « I heard you looking », probablement l’un de leurs meilleurs titres. De quoi alimenter quelques regrets pour cet album quand même un peu décevant par rapport à son prédécesseur.

 

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Electr-o-pura reste dans la même veine avec cependant une proportion plus importante de bons titres, notamment en début d’album. « Decora » présente un beau contraste entre la douce voix de Georgia et le son agressif de guitare qui lui répond, « Flyin lesson » semble tiré d’un album de Sonic Youth avec son rythme répétitif, un chant à moitié parlé et sa guitare ivre qui s’affrontent dans un sprint final culotté et « Tom Courtenay » est un super single alliant énergie et chant mélodique. L’accent est mis sur des chansons tranquilles, parfois acoustiques et souvent plaisantes (« Don’t say a word », « Paul is dead », « The ballad of red buckets ») secouées par endroits par des pétages de plombs sonores dont le bien nommé (et un peu assomant) « False alarm ».  La tradition du long final performant est respectée avec « Blue line Swinger »,  assemblage de notes et de coups de toms désordonnés qui lentement se mettent en place (4 mn d’intro quand même) et finissent en harmonie sur un rythme soutenu. Comme indiqué en sous titre de « My heart’s reflection » : Play it soft and easy, play it hard – the beat still comes through ; Un parfait résumé de la musique de Yo La Tengo.

 

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Et c’est sur cette base qu’ils sortent en 1997 I can hear the heart beating as one, leur plus éclatante réussite, pièce indispensable de la discographie indépendante américaine des 90’s.

Un petit instrumental très mélodique reprenant les bases de titres précédents fait office d’introduction, mais l’auditeur s’installant trop rapidement dans le fauteuil confortable de l’habitude est contraint de se relever dès le deuxième titre, « Moby octopad », première incursion en territoire jazzy du trio construite autour d’un riff de basse et d’une voix chaleureuse agrémentés par la suite d’un piano qui swingue. Yo la tengo franchit une belle marche sur cet album en explorant de nouvelles pistes ; « Autumn sweater »  a ainsi des accents électros, la voix traînante et l’orgue posés sur des rythmes artificiels ayant même inspiré de célèbres remixers, Tortoise et Kevin Shields. De leur coté, Yo la tengo jouent du Beach boys en ressuscitant the Jesus and Mary Chains sur « Little Honda » et rivalisent avec les poids lourds de l’époque avec « Sugarcube », single joyeux et sans fioritures qui fonce à 100 à l’heure sur ses 3mn réglementaires.  Ils se permettent même d’enchaîner « Center of Gravity », chanson carrément latino (il y en aura pas mal d’autre par la suite) à un espèce de techno punk syncopé de 10 mn où encore une fois la guitare a les coudées franches (« Spec Bebop »).  De plus en plus assuré, les compères s’approprient tout les registres vocaux, aigu sur le doucereux « Stockholm syndrome », grave sur « One PM again » (encore un son différent sur ce morceau agrémenté de pedal steel), ou chantant de loin derrière un mur de guitares ce qui provoque une curieuse émotion (« Deeper into movies »). Georgia maîtrise à merveille un jeu feutré délicieux qui, associé à la mécanique grave de James et à des nappes de guitares sur « Damage » (une triste histoire de rupture magnifiquement exprimée) fait doucement fermer les yeux de l’auditeur le plus tendu. Quant à « Green Arrow », c’est tout bonnement un instrumental qui rivalise avec les grands maîtres du classique ayant essayé de mettre une douce nuit d’été en musique : une chanson que tout les amoureux devraient connaître… Le groupe termine cette longue heure de plaisir par une petite reprise poétique et optimiste, « my little corner of the world », et nous laisse rêveur devant tant de talent.

 

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Trois ans d’attente, et voici enfin And then nothing turn itself inside-out. Pas de chance, le groupe a décidé de couper l’électricité et de plonger l’auditeur dans la douceur d’une soirée étoilée de Hoboken, leur quartier pavillonnaire d’origine (voir la pochette). Batterie et basse en sourdine, voix douce et guitare acoustique discrète nous accompagne pendant ces 80 mn. Certes tout commence pour le mieux avec un « Everyday » parfaitement hypnotique et « Our way to fall », chanson d’amour estivale à siffloter gaiement et sans conteste meilleur titre de l’album. Mais l’habitué fronce les sourcils au fur et à mesure des titres qui s’enchainent, parfois tristes (« Last days of disco »), parfois plus dansants (« You can have it all »), mais malgré les tentatives de changement de style à la batterie, toujours lents et souvent ennuyeux (l’électro « Let’s save Tony Orlando’s house »). Comme un extra terrestre égaré, seul « Cherry Chapstick » nous rappelle que Yo la tengo rivalise avec Sonic Youth dans le style noisy tordu. Rassurés sur l’état du matériel du groupe (on croyait qu’ils avaient grillé tous leurs amplis), on replonge sur nos oreillers en attendant avec impatience la longue dernière chanson qui s’annonce. Le titre aurait du nous mettre la puce à l’oreille, « Night falls on Hoboken » n’est pas vraiment rock n’roll. En fait on s’enfonce dans une torpeur pas désagréable, mais qui n’équivaut en rien les moments d’excitation donnés par le groupe dans les précédents albums. Reste une question, comment fait James McNew pour jouer les 4 mêmes notes de basse pendant 18 mn ?  Bref, cet album n’est pas mauvais dans son genre, mais tellement en deca du I can hear the heart beating as one qu’on aura tendance à l’oublier, sauf pour une ambiance soft avant d’éteindre la lumière.

 

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Trois ans s’écoulent de nouveau avant l’arrivée de Summer sun, qui confirme la mise au placard des guitares électriques. Ayant complètement tourné le dos au noisy rock, nos trois compères se sont orientés vers des styles radicalement différents et qui sortent malheureusement de mon champ de compétences. Faute de mieux, je qualifierai de jazz ces morceaux qui font la part belle au piano, à la trompette, au saxo et aux flutes, dont le plus digne représentant est le long « Let’s be still ». Autres rythmes sur « Winter A-go-go » ou « Moonrock Mambo » (là c’est facile, c’est du mambo!), pour des morceaux à la fois calmes et dansants. En fait on a souvent l’impression d’écouter un album de Tortoise (« How to make a baby elephant float », « Georgia Vs Yo la tengo ») même si Yo la Tengo sait varier l’ambiance de ses chansons comme sur le sombre « Nothing but you and me » et ses inquiétants bruits de fond. Yo la tengo propose aussi quelques morceaux pop sympas mais assez sages (« Little eyes », « Season of the shark ») dont on retiendra surtout le riff de guitare et le beau chant de « Tiny Bird », parfois interrompu par des sons aériens bizarres. Un peu de folk et de pedal steel sur « Today is the day » et sur la triste reprise d’Alex Chilton « Take care » et puis s’en vont. Si le groupe a le mérite de se renouveler et de nous faire découvrir d’autres horizons sonores, il manque cruellement de la folie, de l’humour et de l’électricité qui m’ont tant plu auparavant.

 

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En 2006, Yo la tengo fête ses 20 ans et sort un disque à la pochette plus colorée et au titre marrant : i am not afraid of you and i will beat your ass (on peut ne pas aimer l’un et l’autre…). Je ne sais pas si c’est cet anniversaire, mais le groupe a décidé de composer dans tous les styles qu’ils ont pratiqué auparavant, ce qui nous donne 80 mn (plus c’est long plus c’est bon…) de folie, de douceur, de haut et de bas, d’électrique et d’acoustique, d’orgue et de guitare, bref s’il n’avaient sorti un excellent triple best of l’année précédente (intitulé prisoners of love) on aurait pu se méprendre. D’ailleurs le dernier titre se nomme « the story of yo la tango », et oh bonheur, c’est une longue saga qui décolle patiemment, atteint une bonne vitesse de croisière avant de se crasher dans une explosion de larsen. Auparavant les américains nous avaient fait le plaisir de ressortir l’artillerie lourde sur le premier titre, « Pass the hatchet, i think i’m goodkind » dans leur style kraftnoisy si envoutant. Entre deux, nous aurons eu droit à des ballades lyriques avec piano, violons ou trombone et surtout un chant émouvant (« I feel like going home », « Black flowers »), des rocks calmes cousins des derniers albums (« the race is on again », « the weakest part »), des inhabituels titres festifs et optimistes («beanbag chair », « Mr Tough », « I should have known better »), un ptit blues à l’ancienne au piano et contrebasse (« Sometimes i don’t get you »), une rêverie acoustique du genre Calexico expérimental (« Daphnia ») et carrément du rockabilly avec « Watch out for me Ronnie ».  Le groupe mélange les genres (où classer « Point and shout » ?) et en invente même, en associant rythme techno, percus et orgue fou sur « The room got heavy ».  C’est vraiment un plaisir de retrouver un Yo la tengo en forme, pêchu, original, tout azimuts sur un disque qui ne peut que s’améliorer au fil des écoutes tant il est varié : le groupe remporte le concours du plus grand nombre de styles sur un album, presque un par titre ! Et s’il n’atteint pas la perfection d’un I can hear the heart beating as one ou même d’un May i sing with me, i am not afraid of you and i will beat your ass peut être un bon moyen de découvrir la musique de ces trois gentils fous, Yo La Tengo, un vieux groupe toujours jeune (espérons pour longtemps encore…)

 

 

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