Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Blinking Lights (and other revelations)
1 avril 2006

RADIOHEAD

Je me rappelle une discussion avec un pote fan de Led Zeppelin qui regrettait de n’avoir pas vécu l’attente et la sortie de leurs légendaires albums. Pour ma part,  je me satisfais grandement d’avoir assisté à l’émergence d’un des plus fantastiques groupes de rock de la planète, Radiohead. Ma grande fierté musicale est d’avoir fait partie du public de la tournée d’OK Computer, deuxième meilleur disque de tout les temps selon les anglais (juste derrière Revolver des Beatles).

 

R-339574-1243896287_jpeg

 

Pourtant tout a commencé de façon classique, des potes étudiants qui fondent un groupe de rock pour chasser l’ennui. Et même comme souvent un groupe tout pourri : trois saxos, un leader timide qui chante dos au public, un guitariste choisi pour sa belle gueule et un autre toléré parce que son grand frère joue de la basse. La bancale affaire finit par accoucher laborieusement d’un premier album, intitulé Pablo Honey. Les titres sont du style dit « alternatif », calmes mélodies coupées par des refrains saturés, les trois guitares s’imposant progressivement jusqu’à des fins presque punks (« How do you ? »,  « Blow out »). Quelques belles ballades (« Stop Whispering », « Lurgee »), une voix pas encore au top mais déjà émouvante (« Thinking about you »), l’album est prometteur mais souffre d’un gros manque d’unité et serait sans doute passé inaperçu, sans LE single de l’année, « Creep ». Cette compo pas si fabuleuse (quatre accords…) profita de quelques coups de chance : la musique et les paroles d’auto dépréciation tombent pile dans la mode grunge (et s’accordent avec la gueule de Thom Yorke, style souffre douleur du lycée), et Johnny Greenwood en essayant son ampli invente involontairement les coups de guitares rageurs qui feront l’originalité du morceau… C’est un carton énorme, et Radiohead aurait pu rester le groupe d’un tube (il l’est d’ailleurs toujours pour certains imbéciles…) sans la qualité de l’album suivant, the Bends.

 

R-368116-1252084700_jpeg

 

Une telle progression entre un premier et un deuxième album est très rare. Dès la première écoute, la voix aérienne de Thom Yorke nous transporte, les mélodies des guitares s’incrustent dans notre cerveau qui réclame des passages en boucle. Bien après, on se rend compte que les titres s’appuient d’abord sur le jeu solide de Colin Greenwood à la basse, comme sur le Pixiesien « Bones » et son refrain surpuissant, ou l’hymne « My iron lung », alliant intro énorme, déluge de décibels et paroles pertinentes sur l’omniprésence de « Creep » dans la vie du groupe. (« This is our new song just like the last one a perfect waste of time my iron lung »). Radiohead utilise tout les registres de la guitare, mêlant sons acoustiques, refrains électriques et solos magnifiques (« The Bends », « Just »), séparant certaines chansons en plusieurs chapitres, entraînant l’auditeur dans un tourbillon d’émotions, alchimie culminant sur « Fake plastic trees », une merveille de single. Plus de la moitié des chansons de the Bends sont d’ailleurs sorti en single, tous d’une qualité irréprochable !! Ajoutons à cela un univers particulier, les dessins étranges de la pochette, le titre bizarre (littéralement la maladie des caissons),  les paroles mystérieuses et touchantes (« we don’t have any real friends, i want to be part of the human race »)  ainsi que des clips de toute beauté (celui de « Just », à voir impérativement) et on approche la perfection. Difficile de dire pourquoi malgré tout il manque un petit quelque chose à the Bends pour atteindre l’aura de son illustre successeur. Peut être une question de son, je pense aussi qu’après un festival ininterrompu de tubes l’enchaînement  « Bullet Proof », « Black Star » « Sulk » fait un peu retomber la sauce (même si ces morceaux sont très bons, ils le sont moins que les précédents). Reste en conclusion un titre parfait, dont les arpèges sont un modèle du genre, aux voix et guitares mêlées provoquant irrésistiblement un grand frisson. « Street Spirit », une des plus belles chanson du groupe et du rock, tout simplement…

 

R-4950798-1387745762-1902_jpeg

 

Ces passionnants efforts ne parviennent pas malgré tout à faire oublier « Creep », au grand désespoir du groupe. Est-ce pour cela que Thom Yorke décide de tout donner pour sortir l’album parfait, atteignant un tel degré de perfectionnisme qu’il transforme en enfer l’enregistrement de ce troisième album pour ses quatre collègues ? La légende dit que le chanteur éclata en sanglot lorsqu’il réécouta « Lucky », premier titre enfin mis en boite de cet Ok Computer, présentant un équilibre idéal entre tout les instruments. Condamnés à la perfection, les quatre acolytes du leader ont haussé leur niveau de jeu afin d’être à la hauteur de ses magnifiques compositions et de son chant, extraordinaire sur tout l’album. La basse de Colin Greenwood, n’est plus l’unique colonne vertébrale des morceaux, on ressent cette progression dans les solos de son frère et surtout dans le jeu de Phil Selway, qui est devenu un excellent batteur (chose pas assez soulignée sous prétexte qu’il n’en fait pas des tonnes). Pour exemple le titre « Exit Music », histoire émouvante de la fugue de deux amants adolescents servie par de tristes accords acoustiques, dont la superbe intensification finale doit autant aux roulements de toms tout en retenue de Selway qu’à la voix inimitable de Thom Yorke.  La qualité d’OK Computer est si évidente que la maison de disque n’hésite pas à présenter en premier single « Paranoid Android », une chanson de 6 mn qui  ne répond à aucun critère du passage en radio classique. C’est un enchaînement de plusieurs parties distinctes, composées d’un grand nombre de pistes différentes, arpèges géniaux et complexes, accélérations, explosions et pauses aux multiples voix torturées, incroyables solos formant une chanson étonnante que beaucoup considèrent comme emblématique du talent du groupe. Bien servi par un clip très sympa (des personnages d’un célèbre dessin animé vivant des aventures bizarres), cet étrange single loin d’effrayer le public l’attirera en masse à la découverte de l’album, qui deviendra rapidement une référence aussi importante que le Nevermind de Nirvana. Outre la qualité du groupe, le nouvel ingénieur du son, Nigel Goldrich (considéré comme le sixième Radiohead) apporte un savoir faire indéniable, qui manquait certainement à l’album précédent. Le son des guitares est particulièrement bien travaillé, apportant par exemple des ambiances adaptées aux paroles des titres « Subterranean Homesick Alien » ou « Let down ».  

Les paroles insistent sur la fragilité et le coté éphémère de l’être humain, présentant les habitants des grandes villes comme des fourmis s’agitant futilement : ennui, peur, fatigue et idées suicidaires font le quotidien de l’homme moderne. A la différence des autres albums de Radiohead, elles sont ici facilement interprétables et présentent des scènes que l’auditeur peut s’approprier sans problème. Bien au centre de l’album, enchainé à l’alarme finale de « Karma Police », composition au piano sonnant très Beatles, immense succès dont je n’ai jamais été grand fan, se trouve un résumé poignant de cet état d’esprit, « Fitter Happier », texte lu sur des bruitages moroses, que la légende attribue à un mail envoyé par un fan à Thom Yorke (beaucoup de légendes circulent sur les albums légendaires…). A pig in a cage on antibiotics… Stanley Donwood participe également à la qualité de l’album avec son artwork adapté (signaux et ambiance citadine en tout genre) et la présentation des paroles comme sorties d’un ordinateur conscient. Seul sort de ce contexte  « Electioneering », rafraichissant rock basé sur des riffs de guitare à l’ancienne, titre rageant sur le monde politique.

Si le démarrage de l’album se fait sur les chapeaux de roues, notamment avec le premier titre « Airbag » bien rythmé qui utilise à l’unisson basse, cordes et piano pour raconter un accident de voiture, le final est plutôt calme, à l’image de « No Surprises », ballade mélancolique passée à la télé dès qu’il s’agit d’illustrer une séquence triste (et utilisée comme telle dans le film L’Auberge Espagnole). You look so tired unhappy – I’ll take a quiet life with no alarms and no surprises. Voici donc un album extrêmement cohérent qui fonde sa supériorité sur la constance de qualité des compositions, des thèmes abordés, du son et des très bons enchainements entre les morceaux (cf  les drames d’antan, unité de lieu, d’action, de temps…). Pour finir, un concours bête et méchant qui aurait abouti à une sombre bouse pour la plupart des autres groupes (celui qui met le plus d’accords différents dans une chanson !!) voit Johnny Greenwood triompher avec « the Tourist », superbe chanson aérienne à plusieurs voix dont la fin instrumentale (basse + batterie) conclue avec brio OK Computer. Le minuteur s’arrête sur cette ultime histoire de touristes trop pressés (Hey man slow down, idiot slow down)  toujours très émouvante à entendre en live. OK Computer est un concentré du versant sombre de son époque, une œuvre musicale qui la représente mieux que toute autre.

 

R-74743-001_jpg

 

 

Après cette réussite, tout les regards se portent sur Radiohead, l’attente pour l’album suivant est énorme et les spéculations vont bon train. Certains prédisent l’explosion du groupe soumis à l’obligation de faire aussi bien qu’OK Computer, tache très difficile que les anglais vont pourtant accomplir de manière surprenante. Annoncé par le nom OK Computer destiné à casser l’image de groupe à guitares de Radiohead, la révolution intervient finalement sur ce 4eme album. On peut même parler de double album, puisqu’ Amnesiac sorti un an après Kid A comprend des titres de la même époque qui ont juste été un peu plus laborieux à enregistrer (je trouve d’ailleurs que cela se ressent, Kid A étant pour moi bien supérieur à son frère jumeau). Le point de départ de cette révolution est une subite lubie du dépressif Thom Yorke : celui-ci ne supporte plus le son de sa voix ni l’instrument à cordes appelé guitare. Le voilà donc penché sur une armée d’ordinateurs (dont le surnom du premier donna son titre à l’album). On comprend aisément le désarroi de ses compères qui au sommet de leur technique durent abandonner leurs instruments sur un caprice de leur leader. Je ne sais quelle fut leur apport à ces deux albums, mais les enregistrement furent apparemment encore plus houleux que celui d’OK Computer. Quoiqu’il en soit, cette transformation se révéla une idée géniale : Kid Amnesiac se libérait de toute comparaison avec les albums précédant, existait par lui-même, et prenant à contre-pied toutes les attentes (abandonnant d’ailleurs pas mal de fan en route) consacrait l’inspiration de son (ses ?) créateur(s). Pour preuve les quelques titres de pop plus classique tels « Optimistic »,  « Knives out » ou « Dollars and cents » qui font pale figure par rapport aux titres majeurs des deux albums. Parmi eux l’emblématique (encore !) « Idioteque »,  au rythme électro très marqué bien que radouci par le chant, si bon qu’un bidouilleur n’osa le toucher et le replaça tel quel dans son album de remixes. Certes il lui fallut plus de temps et d’écoutes qu’un « Creep » par exemple, mais « Idioteque » est aujourd’hui un grand standard de Radiohead, réclamé par le public lors des concerts. La plupart des titres de Kid Amnesiac ne s’apprécient qu’après maturation, contrairement aux singles d’avant qui accrochaient l’oreille à la première écoute. On ne passe pas du jour au lendemain d’une touche de REM à une pointe de CAN (sauf si comme moi on est fan de se groupe depuis longtemps, il faudra d’ailleurs que je leur consacre un article un  de ces jours). On retrouve le style du groupe allemand sur ces longs morceaux aux obscures paroles et accords répétitifs, comme l’hypnotisant « Everything in it’s right place », dans les notes de claviers ou de programmes rythmique tombant en pluie continue (le son de « Packt like sardines in a crushd tin box »), et dans les expérimentations tout azimut, voix maltraitées et insaisissables, bouillie sonore ou simple son suspendu, dont la qualité est très variable. Si on peut s’habituer à la longue au titre « Kid A », « Pulk/Pull revolving doors » est peut être la seule chanson de Radiohead vraiment insupportable. Comme bonnes idées nous avons une double version de « Morning Bell », rythmée d’une batterie entêtante pour Kid A et à l’inverse ralentie par un lugubre piano sur Amnesiac, ou le superbe « Like Spinning Plates », déformant la réalité par ses pistes trafficotées, notamment la voix chantée à l’envers par Thom Yorke et repassée à l’endroit au mixage ! Autre titre original, « National Anthem », un riff de basse là encore très répétitif qui se voit perturbé par l’apparition surprise de cuivres jazzy. Une musique oppressante qui accompagne bien le thème de cet album, l’apocalypse et la destruction (largement illustrée sur les pochettes).

 

R-267133-1246917437_jpeg

 

 

Radiohead a malgré tout encore des choses à proposer à la guitare, et ressort l’instrument du placard pour quelques excellentes compos : les arpèges complexes de « In Limbo » accompagnent le piano rythmique pour un titre à la fois entraînant et rêveur (« you’re living in a fantasy world… ») ; « You and whose army » applique l’ancienne recette du refrain explosant un démarrage tranquille, et le très rythmé « I might be wrong » s’appuyant sur un riff excellent relance le moteur rock de plus belle  après une pause acoustique. Pour les chansons calmes on retiendra le curieux balancement de « Pyramid song » provoqué par le rythme atypique du piano, agrémenté d’une mélodie arabisante et d’une apparition de la batterie qui n’est pas sans rappeler « Exit Music ». Et le plus beau titre, « How to disappear completly », débutant de manière acoustique, dont les lointains appels de guitare électrique et les cordes apparaissant au deuxième couplet s’accordent avec la voix aérienne de Thom Yorke et nous entraînent progressivement dans un rêve merveilleux. On a l’impression de flotter avec le chanteur, la fin dissonante le voyant se noyer peu à peu, ressurgir des flots musicaux une dernière fois avant de sombrer dans un sommeil sans notes. Kid A se termine sur « Motion Picture Soundtrack » dans une version très lente à l’orgue (on préfère celle toute simple à la guitare acoustique jouée auparavant), et Amnesiac sur un blues à l’ancienne complètement à part, « Life in a glasshouse », jouée par un orchestre invité, deux post scriptum qui ont du mal à s’intégrer au reste des compositions mais restent néanmoins plaisants. Pour confirmer la qualité du KidAmnesiac, Radiohead se plait à en interpréter quasiment l’intégralité sur scène, preuve qu’on peut composer sur un ordinateur des titres qui seront parfaitement retranscrits en concerts par de vrais instruments. On peut en juger sur le live I might be wrong, très bon quoiqu’un peu court, (qui propose en plus une superbe version au piano de « Like spinning plates » et un inédit acoustique de toute beauté, « True love waits ») et plus encore sur le fameux concert pour Canal + du 18 sept 2000 (mon live préféré).

 

R-566728-1154125066_jpeg

 

 

Avec ce virage à 180° audacieux qui comble les attentes les plus exigeantes, même s’il rebute les Creepofans de base, Radiohead se hisse à un niveau de notoriété légendaire et devient quasi incritiquable.  Détaillons leur progression : un single sur Pablo Honey, les singles sur the Bends, l’album complet sur OK Computer, et la confirmation avec KidAmnesiac : Radiohead n’a plus rien à prouver. L’avantage, c’est que l’album suivant est enregistré de façon plus détendue, Thom Yorke lâchant un peu de lest sur son pointillisme naturel. L’inconvénient c’est que Radiohead ayant déjà tout fait aura du mal à être aussi surprenant et inventif par la suite. Hail to the thief  s’inspire donc tranquillement de tous les albums précédents dans un mix pop électro sympathique. Le début de ce sixième album enchante les oreilles impatientes de l’auditeur frustré par sa sortie tardive. Un branchement d’ampli, un programme rythmique qui démarre, la belle voix de Thom Yorke qui s’impose doucement puis c’est l’explosion de « 2+2=5 », excellente entrée en matière, suivie d’un nouveau bon titre façon « Everything in it’s right place » intitulé « Sit down, stand up ». Le compteur ballade-belle-à-en-pleurer de Radiohead s’incrémente une fois de plus avec « Sail to the Moon », poème joué par un piano et une guitare délicats. Hail to the thief a tiré ses meilleures cartouches, et c’est ensuite un pot pourri de styles différents générant quand même pas mal de déchets. Radiohead est moins inspiré sur les titres purement électro, « the Gloaming » étant à peine sauvée par la voix du chanteur tandis que le trop long « Backdrifts » ne passe décidément pas. De même les chansons basées sur un riff répétitif ne sont guère convaincantes, « Where i end and you begin » pas terrible, « Myxomatosis » rendue désagréable par un son de guitare très lourd et « A punchup at a wedding », qui montre pourtant une belle symbiose entre le piano, la basse et la batterie sur un rythme bien balancé, un peu gâchée par une voix vraiment moyenne. Coté guitare, le bilan est mitigé avec un étonnant folk rock sonnant très années 70, « Go to sleep », et l’ennuyeux « Scatterbrain » qui semble écrit par un sous groupe voulant copier Radiohead. L’album compte quand même son lot de surprises et de bonnes trouvailles. Un piano lugubre, des claquements de mains déstructurés et des voix hululantes font de « We suck young blood » un titre génialement glauque, encore plus marquant avec sa très courte et folle rupture rapide comme un accès subit de schizophrénie. « There there » est un bon single où l’on retrouve un Johnny Greenwood en forme musclant de son solo la fin du sombre morceau. Le final est de toute beauté, le mélodique « A Wolf at the door » et ses variations d’intensité évoquant en plus rythmé la conclusion de OK Computer, « the Tourist ». Une collection de nouvelles chansons variées ou chacun pourra trouver son bonheur, sans être transporté sur toute la durée de l’album. Les paroles alambiquées (apparemment des bouts de phrases sans rapport tirées des lectures de Thom Yorke et collées ensemble) et l’artwork franchement moins inspiré ajoutent à l’impression de distance qui se créée à l’écoute d’Hail to the thief  là où l’immersion était totale sur les albums précédents.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité